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CHAPITRE CLXVII.

1585. Ces entreprises formèrent bientôt la meilleure marine de l’Europe ; il y parut bien lorsqu’ils mirent cent vaisseaux en mer contre la flotte invincible de Philippe II, et qu’ils allèrent ensuite insulter les côtes d’Espagne, détruire ses navires, et brûler Cadix ; et qu’enfin, devenus plus formidables, ils battirent en 1602 la première flotte que Philippe III eût mise en mer, et prirent dès lors une supériorité qu’ils ne perdirent presque jamais.

Dès les premières années du règne d’Élisabeth, ils s’appliquèrent aux manufactures. Les Flamands, persécutés par Philippe II, vinrent peupler Londres, la rendre industrieuse, et l’enrichir. Londres, tranquille sous Élisabeth, cultiva même avec succès les beaux-arts, qui sont la marque et le fruit de l’abondance. Les noms de Spencer et de Shakespeare, qui fleurirent de ce temps, sont parvenus aux autres nations. Londres s’agrandit, se poliça, s’embellit ; enfin la moitié de cette île de la Grande-Bretagne balança la grandeur espagnole. Les Anglais étaient le second peuple par leur industrie ; et comme libres, ils étaient le premier. Il y avait déjà sous ce règne des compagnies de commerce établies pour le Levant et pour le Nord. On commençait en Angleterre à considérer la culture des terres comme le premier bien, tandis qu’en Espagne on commençait à négliger ce vrai bien pour des trésors de convention. Le commerce des trésors du nouveau monde enrichissait le roi d’Espagne ; mais en Angleterre le négoce des denrées était utile aux citoyens. Un simple marchand de Londres, nommé Gresham, dont nous avons parlé[1], eut alors assez d’opulence et assez de générosité pour bâtir à ses dépens la bourse de Londres et un collége qui porte son nom. Plusieurs autres citoyens fondèrent des hôpitaux et des écoles. C’était là le plus bel effet qu’eût produit la liberté ; de simples particuliers faisaient ce que font aujourd’hui les rois, quand leur administration est heureuse.

Les revenus de la reine Élisabeth n’allaient guère au delà de six cent mille livres sterling, et le nombre de ses sujets ne montait pas à beaucoup plus de quatre millions d’habitants. La seule Espagne alors en contenait une fois davantage. Cependant Élisabeth se défendit toujours avec succès, et eut la gloire d’aider à la fois Henri IV à conquérir son royaume, et les Hollandais à établir leur république.

Il faut remonter en peu de mots aux temps d’Édouard VI et de Marie, pour connaître la vie et le règne d’Élisabeth.

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