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CHAPITRE CLXXIII.

publiquement la Saint-Barthélemy, à laquelle il n’avait eu que trop de part. Il exempte d’impositions, pour six ans, les enfants de ceux qui ont été tués dans les massacres, réhabilite la mémoire de l’amiral Coligny ; et, pour comble d’humiliation, il se soumet à payer les troupes allemandes du prince palatin Casimir, qui le forçaient à cette paix ; mais n’ayant pas de quoi les satisfaire, il les laisse vivre à discrétion pendant trois mois dans la Bourgogne et dans la Champagne. Enfin il envoie au prince Casimir six cent mille écus par Bellièvre. Casimir retient l’envoyé du roi en otage pour le reste du payement, et l’emmène prisonnier à Heidelberg, où il fait porter en triomphe, au son des fanfares, les dépouilles de la France, dans des chariots traînés par des bœufs dont on avait doré les cornes.

Ce fut cet excès d’opprobre qui enhardit le duc Henri de Guise à former la ligue projetée par son oncle le cardinal de Lorraine, et à s’élever sur les ruines d’un royaume si malheureux et si mal gouverné. Tout respirait alors les factions, et Henri de Guise était fait pour elles. Il avait, dit-on, toutes les grandes qualités de son père, avec une ambition plus effrénée et plus artificieuse. Il enchantait comme lui tous les cœurs. On disait du père et du fils qu’auprès d’eux tous les autres princes paraissaient peuple. On vantait la générosité de son cœur ; mais il n’en avait pas donné un grand exemple quand il foula aux pieds, dans la rue Bétisy, le corps de l’amiral Coligny, jeté à ses yeux par les fenêtres.

La première proposition de la Ligue fut faite dans Paris. On fit courir chez les bourgeois les plus zélés des papiers qui contenaient un projet d’association pour défendre la religion, le roi, et la liberté de l’État : c’est-à-dire pour opprimer à la fois le roi et l’État par les armes de la religion. La Ligue fut ensuite signée solennellement à Péronne et dans presque toute la Picardie. Bientôt après les autres provinces y entrent. Le roi d’Espagne la protège, et ensuite les papes l’autorisent. Le roi, pressé entre les calvinistes, qui demandaient trop de liberté, et les ligueurs, qui voulaient lui ravir la sienne, croit faire un coup d’État en signant lui-même la ligue, de peur qu’elle ne l’écrase. Il s’en déclare le chef, et par cela même il l’enhardit. Il se voit obligé de rompre malgré lui la paix qu’il avait donnée aux réformés (1576), sans avoir d’argent pour renouveler la guerre. Les états généraux sont assemblés à Blois ; mais on lui refuse les subsides qu’il demande pour cette guerre à laquelle les états mêmes le forçaient. Il n’obtient pas seulement la permission de se ruiner en aliénant son domaine. Il assemble pourtant une armée, en se ruinant