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DE LA FRANCE SOUS HENRI III.

-aisé de faire agir son année en son absence, s’il avait pu la conserver. Henri de Condé, son cousin, prince aussi austère dans ses mœurs que le Navarrois avait de galanterie dans les siennes, quitta l’armée comme lui, alla comme lui dans ses terres, après avoir resté quelque temps dans le Poitou, ainsi que tous les officiers, qui jurèrent de se retrouver, le 20 de novembre, au rendez-vous des troupes. C’était ainsi qu’on faisait la guerre alors.

Mais le séjour du prince de Condé dans Saint-Jean-d’Angely fut une des plus fatales aventures de ces temps horribles. À peine a-t-il soupé, à son retour, avec Charlotte de La Trimouille, sa femme, qu’il est saisi de convulsions mortelles qui l’emportent en deux jours (janvier 1588). Le simple juge de Saint-Jean-d’Angely met la princesse en prison, l’interroge, commence un procès criminel contre elle : il condamne par contumace un jeune page nommé Permillac de Belcastel, et fait exécuter Brillant, maître-d’hôtel du prince, qui est tiré à quatre chevaux dans Saint-Jean-d’Angely, après que la sentence a été confirmée par des commissaires que le roi de Navarre a nommés lui-même. La princesse appelle à la cour des pairs ; elle était enceinte ; elle fut depuis déclarée innocente, et les procédures brûlées. Il n’est pas inutile de réfuter encore ici ce conte, répété dans tant de livres, que la princesse accoucha du père du grand Condé quatorze mois après la mort de son mari, et que la Sorbonne fut consultée pour savoir si cet enfant était légitime. Rien n’est plus faux, et il est assez prouvé que ce nouveau prince de Condé naquit six mois après la mort de son père.

Si Henri de Navarre défit l’armée de Henri III à la journée de Coutras, le duc de Guise, de son côté, dissipa dans le même temps une armée d’Allemands qui venaient se joindre au Navarrois, et il fit voir, dans cette expédition, autant de conduite que Henri IV avait montré de courage. Le malheur de Coutras et la gloire du duc de Guise furent deux nouvelles disgrâces pour le roi de France. Guise concerte, avec tous les princes de sa maison, une requête au roi par laquelle on lui demande la publication du concile de Trente, l’établissement de l’Inquisition, avec la confiscation des biens des huguenots au profit des chefs de la Ligue, de nouvelles places de sûreté pour elle, et le bannissement de ses favoris qu’on lui nommera. Chaque mot de cette requête était une offense. Le peuple de Paris, et surtout les Seize, insultaient publiquement les favoris du roi, et marquaient peu de respect pour sa personne.

Rien ne fait mieux voir la malheureuse administration du