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DE HENRI IV.

seul mot réfute Bayle. Il est à souhaiter, pour l’exemple des rois et pour la consolation des peuples, qu’on lise ailleurs, comme dans la grande histoire de Mézerai, dans Péréfixe, dans les Mémoires de Sully, ce qui concerne les temps de ce bon prince[1].

Faisons, pour notre usage particulier, un précis de cette vie qui fut trop courte. Il est dès son enfance nourri dans les troubles et dans les malheurs. Il se trouve, à quatorze ans, à la bataille de Moncontour. Il est rappelé à Paris, Il n’épouse la sœur de Charles IX que pour voir ses amis assassinés autour de lui, pour courir lui-même risque de sa vie, et pour rester près de trois ans prisonnier d’État. Il ne sort de sa prison que pour essuyer toutes les fatigues et toutes les fortunes de la guerre, manquant souvent du nécessaire, n’ayant jamais de repos, s’exposant comme le plus hardi soldat, faisant des actions qui ne paraissent pas croyables, et qui ne le deviennent que parce qu’il les a répétées ; comme lorsqu’à la prise de Cahors, en 1588, il fut sous les armes pendant cinq jours, combattant de rue en rue sans presque prendre de repos. La victoire de Coutras fut due principalement à son courage. Son humanité après la victoire devait lui gagner tous les cœurs.

Le meurtre de Henri III le fait roi de France ; mais la religion sert de prétexte à la moitié des chefs de l’armée pour l’abandonner, et à la Ligue pour ne pas le reconnaître. Elle choisit pour roi un fantôme, un cardinal de Bourbon-Vendôme ; et le roi d’Espagne, Philippe II, maître de la Ligue par son argent, compte

  1. Ce passage du dictionnaire de Bayle, ainsi qu’un grand nombre d’autres, ne peut être regardé que comme une plaisanterie.

    Il est certain qu’un prince qui profite de l’impunité que son rang lui assure pour priver un de ses sujets de sa femme commet un acte de tyrannie : l’adultère est un crime pour un souverain comme pour un particulier ; mais les circonstances qui augmentent ou diminuent la gravité du crime, sans en changer la nature, rendent celui ci bien plus grave dans un roi que dans un homme privé.

    Il faut avouer encore qu’un prince dont les passions sont publiques peut s’avilir soit par l’influence que sa faiblesse donne à ses maîtresses, soit par les actions indignes de lui où l’amour peut l’entraîner, soit même par le ridicule dont peuvent le couvrir les infidélités ou l’insolence de ses maîtresses.

    Cependant, de toutes les passions des rois, l’amour est encore la moins funeste à leurs peuples. Ce n’est point Marie Touchet qui a conseillé la Saint-Barthélemy ; Mme de Montespan n’a point contribué à la révocation de l’édit de Nantes ; ce ne sont point les maîtresses de Louis XV ou de son premier ministre qui ont fait donner l’édit de 1724. Les confesseurs des rois ont fait bien plus de mal à l’Europe que leurs maîtresses.

    Observons enfin que l’amour des plaisirs et la chasteté sont également compatibles avec toutes les vertus et tous les vices, toutes les grandes actions et tous les crimes. (K.)