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CHAPITRE CLXXIV.

L’esprit de fanatisme était si généralement répandu qu’on séduisit un chartreux imbécile, nommé Ouin, et qu’on lui mit en tête d’aller plus vite au ciel en tuant Henri IV. Le malheureux fut enfermé comme un fou par ses supérieurs. Au commencement de 1599, deux jacobins de Flandre, l’un nommé Arger, l’autre Ridicovi, originaire d’Italie, résolurent de renouveler l’action de Jacques Clément, leur confrère : le complot fut découvert ; ils expièrent à la potence le crime qu’ils n’avaient pu exécuter. Leur supplice n’effraya pas un frère capucin de Milan, qui vint à Paris dans le même dessein, et qui fut pendu comme eux. (1595) Un vicaire de Saint-Nicolas des Champs, un tapissier (1596), méditèrent le même crime, et périrent du même supplice.

(27 décembre 1594) L’assassinat commis par Jean Châtel est celui de tous qui démontre le plus quel esprit de vertige régnait alors. Né d’une honnête famille, de parents riches, bien élevé par eux, jeune, sans expérience, n’ayant pas encore dix-neuf ans, il n’était pas possible qu’il eût formé de lui-même cette résolution désespérée. On sait que, dans le Louvre même, il donna un coup de couteau au roi, et qu’il ne le frappa qu’à la bouche, parce que ce bon prince, qui embrassait tous ses serviteurs lorsqu’ils venaient lui faire leur cour après quelque absence, se baissait alors pour embrasser Montigny.

Il soutint, à son premier interrogatoire, « qu’il avait fait une bonne action, et que le roi, n’étant pas encore absous par le pape, il pouvait le tuer en conscience » : par cela seul, la séduction était prouvée.

Il avait étudié longtemps au collége des jésuites. Parmi les superstitions dangereuses de ces temps, il y en avait une capable d’égarer les esprits : c’était une chambre de méditations dans laquelle on enfermait un jeune homme ; les murs étaient peints de repré-