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DE CHARLES VI, ET DE HENRI V.

ce cas que Henri V mourut des hémorroïdes, en punition de s’être assis sur le trône des rois de France. Les papes ne leur auraient-ils pas envoyé bulles sur bulles ? N’auraient-ils pas été les oints du Seigneur ? La loi salique n’aurait-elle pas été regardée comme une chimère ? Que de bénédictins auraient présenté aux rois de la race de Henri V de vieux diplômes contre cette loi salique ! que de beaux esprits l’eussent tournée en ridicule ! que de prédicateurs eussent élevé jusqu’au ciel Henri V, vengeur de l’assassinat, et libérateur de la France !

Le dauphin, retiré dans l’Anjou, ne paraissait qu’un exilé, Henri V, roi de France et d’Angleterre, fit voile vers Londres pour avoir encore de nouveaux subsides et de nouvelles troupes. Ce n’était pas l’intérêt du peuple anglais, amoureux de sa liberté, que son roi fût maître de la France. L’Angleterre était en danger de devenir une province d’un royaume étranger ; et après s’être épuisée pour affermir son roi dans Paris, elle eût été réduite en servitude par les forces du pays même qu’elle aurait vaincu, et que son roi aurait eues dans sa main.

Cependant Henri V retourna bientôt à Paris, plus maître que jamais. Il avait des trésors et des armées ; il était jeune encore. Tout faisait croire que le trône de France passait pour toujours à la maison de Lancastre. La destinée renversa tant de prospérités et d’espérances. Henri V fut attaqué d’une fistule. On l’eût guéri dans des temps plus éclairés : l’ignorance de son siècle causa sa mort. (1422) Il expira au château de Vincennes, à l’âge de trente-quatre ans. Son corps fut exposé à Saint-Denis comme celui d’un roi de France, et ensuite porté à Westminster parmi ceux d’Angleterre.

Charles VI, à qui on avait encore laissé par pitié le vain titre de roi, finit bientôt après sa triste vie, après avoir passé trente années dans des rechutes continuelles de frénésie. (1422) Il mourut le plus malheureux des rois, et le roi du peuple le plus malheureux de l’Europe.

Le frère de Henri V, le duc de Betford, fut le seul qui assista à ses funérailles. On n’y vit aucun seigneur. Les uns étaient morts à la bataille d’Azincourt ; les autres, captifs en Angleterre. Et le duc de Bourgogne ne voulait pas céder le pas au duc de Betford : il fallait bien pourtant lui céder tout. Betford fut déclaré régent de France, et on proclama roi à Paris et à Londres Henri VI, fils de Henri V, enfant de neuf mois. La ville de Paris envoya même jusqu’à Londres des députés pour prêter serment de fidélité à cet enfant.

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