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CHAPITRE CLXXIV.



DEUXIÈME LETTRE.[1]


Pour achever de me peindre, il m’est arrivé una des plus extrêmes malheurs que je pouvais craindre, qui est la mort subite de M. le Prince. Je le plains comme ce qu’il me devait être, non comme ce qu’il m’était : je suis à cette heure la seule butte où visent tous les perfides de la messeb. Ils l’ont empoisonné, les traîtres ; si est-ce que Dieu demeurera le maître, et moi par sa grâce l’exécuteur ? Ce pauvre prince, non de cœur, jeudi ayant couru la bague, soupa se portant bien ; à minuit lui prit un vomissement très-violent qui lui dura jusqu’au matin ; tout le vendredi il demeura au lit, le soir il soupa, et ayant bien dormi, il se leva le samedi matin, dîna debout, et puis joua aux échecs ; il se leva de sa chaisec, se mit à se promenerd par sa chambre, devisant avec l’un et l’autre : tout d’un coup il dit : « Baillez-moi ma chaise, je sens une grande faiblesse ; » il ne fut pas assise qu’il perdit la parole, et soudain après il rendit l’âme assis. Les marques duf poison sortirent soudain ; il n’est pas croyable l’étonnement que cela a apporté en ce pays-là. Je pars dès l’aube du jour pour y aller pourvoir en diligence. Je me vois en chemin d’avoir bien de la peine ; priez Dieu hardiment pour moi : si j’en échappe, il faudra bien que ce soit lui qui m’ait gardé jusqu’au tombeau, dont je suis peut-être plus près que je ne pense. Je vous demeurerai fidèle esclave. Bonsoir, mon âme, je vous baise un million de fois les mains.


Variantes.


a L’un.b De la M...c "De sa chère... ma chère (chaire). — d Se mit à promener. — e Il ne fut assis, etc. — f Les marques de poison.


TROISIÈME LETTRE[2]


Il m’arriva hier, l’un à midi, l’autre au soir, deux courriers de Saint-Jean d’Angelya : le premier rapportait comme Belcastel, page

  1. Mars 1588. (Note de Voltaire.)
  2. Celle-ci est du mois de mars 1588, (Id.)