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MŒURS, USAGES, AUX XIIIe ET XIVe SIÈCLES.

teurs en Italie et dans le Levant. Il prêta deux cent mille écus d’or au roi, sans quoi on n’aurait jamais repris la Normandie. Son industrie était plus utile pendant la paix que Dunois et la Pucelle ne l’avaient été pendant la guerre. C’est une grande tache peut-être à la mémoire de Charles VII qu’on ait persécuté un homme si nécessaire. On n’en sait point le sujet : car qui sait les secrets ressorts des fautes et des injustices des hommes ?

Le roi le fit mettre en prison, et le parlement de Paris lui fit son procès. On ne put rien prouver contre lui, sinon qu’il avait fait rendre à un Turc un esclave chrétien, lequel avait quitté et trahi son maître, et qu’il avait fait vendre des armes au Soudan d’Égypte. Sur ces deux actions, dont l’une était permise et l’autre vertueuse, il fut condamné à perdre tous ses biens. Il trouva dans ses commis plus de droiture que dans les courtisans qui l’avaient perdu. Ils se cotisèrent presque tous pour l’aider dans sa disgrâce. On dit que Jacques Cœur alla continuer son commerce en Chypre, et n’eut jamais la faiblesse de revenir dans son ingrate patrie, quoiqu’il y fût rappelé. Mais cette anecdote n’est pas bien avérée.

Au reste, la fin du règne de Charles VII fut assez heureuse pour la France, quoique très-malheureuse pour le roi, dont les jours finirent avec amertume, par les rébellions de son fils dénaturé, qui fut depuis le roi Louis XI.

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CHAPITRE LXXXI.


Mœurs, usages, commerce, richesses, vers les xiiie et xive siècles.


Je voudrais découvrir quelle était alors la société des hommes, comment on vivait dans l’intérieur des familles, quels arts étaient cultivés, plutôt que de répéter tant de malheurs et tant de combats, funestes objets de l’histoire, et lieux communs de la méchanceté humaine.

Vers la fin du xiiie siècle et dans le commencement du xive, il me semble qu’on commençait en Italie, malgré tant de dissensions, à sortir de cette grossièreté dont la rouille avait couvert l’Europe depuis la chute de l’empire romain. Les arts nécessaires n’avaient point péri. Les artisans et les marchands, que leur obs-