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SCIENCES, BEAUX-ARTS, AUX XIIIe ET XIVe SIÈCLES.

langue grecque, par les conquêtes des Ottomans. Florence était alors une nouvelle Athènes ; et parmi les orateurs qui vinrent de la part des villes d’Italie haranguer Boniface VIII sur son exaltation, on compta dix-huit Florentins. On voit par là que ce n’est point aux fugitifs de Constantinople qu’on a dû la renaissance des arts. Ces Grecs ne purent enseigner aux Italiens que le grec. Ils n’avaient presque aucune teinture des véritables sciences ; et c’est des Arabes que l’on tenait le peu de physique et de mathématiques que l’on savait alors.

Il peut paraître étonnant que tant de grands génies se soient élevés dans l’Italie, sans protection comme sans modèle, au milieu des dissensions et des guerres ; mais Lucrèce, chez les Romains, avait fait son beau Poëme de la Nature, Virgile ses Bucoliques, Cicéron ses livres de philosophie dans les horreurs des guerres civiles. Quand une fois une langue commence à prendre sa forme, c’est un instrument que les grands artistes trouvent tout préparé, et dont ils se servent, sans s’embarrasser qui gouverne et qui trouble la terre.

Si cette lueur éclaira la seule Toscane, ce n’est pas qu’il n’y eût ailleurs quelques talents. Saint Bernard et Abélard en France, au xiie siècle, auraient pu être regardés comme de beaux esprits ; mais leur langue était un jargon barbare, et ils payèrent en latin tribut au mauvais goût du temps, La rime à laquelle on assujettit ces hymnes latines des xiie et xiiie siècles est le sceau de la barbarie. Ce n’était pas ainsi qu’Horace chantait les jeux séculaires. La théologie scolastique, fille bâtarde de la philosophie d’Aristote, mal traduite et méconnue, fit plus de tort à la raison et aux bonnes études que n’en avaient fait les Huns et les Vandales.

L’art des Sophocle n’existait point : on ne connut d’abord en Italie que des représentations naïves de quelques histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament ; et c’est de là que la coutume de jouer les mystères passa en France. Ces spectacles étaient originaires de Constantinople. Le poète saint Grégoire de Nazianze les avait introduits pour les opposer aux ouvrages dramatiques des anciens Grecs et des anciens Romains : et comme les chœurs des tragédies grecques étaient des hymnes religieuses, et leur théâtre une chose sacrée, Grégoire de Nazianze et ses successeurs firent des tragédies saintes ; mais malheureusement le nouveau théâtre ne l’emporta pas sur celui d’Athènes, comme la religion chrétienne l’emporta sur celle des gentils. Il est resté de ces pieuses farces des théâtres ambulants que promènent encore les