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SCIENCES, BEAUX-ARTS, AUX XIIIe ET XIVe SIÈCLES.

Le roi de France Charles V, qui rassembla environ neuf cents volumes cent ans avant que la bibliothèque du Vatican fût fondée par Nicolas V, encouragea en vain les talents. Le terrain n’était pas préparé pour porter de ces fruits étrangers. On a recueilli quelques malheureuses compositions de ce temps. C’est faire un amas de cailloux tirés d’antiques masures quand on est entouré de palais. Il fut obligé de faire venir de Pise un astrologue ; et Catherine[1] fille de cet astrologue, qui écrivit en français, prétend que Charles disait : « Tant que doctrine sera honorée en ce royaume, il continuera à prospérité. » Mais la doctrine fut inconnue, le goût encore plus. Un malheureux pays, dépourvu de lois fixes, agité par des guerres civiles, sans commerce, sans police, sans coutumes écrites, et gouverné par mille coutumes différentes ; un pays dont la moitié s’appelait la langue d’Oui ou d’Oil, et l’autre la langue d’Oc, pouvait-il n’être pas barbare ? La noblesse française eut seulement l’avantage d’un extérieur plus brillant que les autres nations.

Quand Charles de Valois, frère de Philippe le Bel, avait passé en Italie, les Lombards, les Toscans même, prirent les modes des Français, Ces modes étaient extravagantes : c’était un corps qu’on laçait par derrière, comme aujourd’hui ceux des filles : c’étaient de grandes manches pendantes, un capuchon dont la pointe traînait à terre. Les chevaliers français donnaient pourtant de la grâce à cette mascarade, et justifiaient ce qu’avait dit Frédéric II : Plas me el cavalier frances. Il eût mieux valu connaître alors la discipline militaire : la France n’eût pas été la proie de l’étranger sous Philippe de Valois, Jean, et Charles VI, Mais comment était-elle plus familière aux Anglais ? c’est peut-être que, combattant loin de leur patrie, ils sentaient plus le besoin de cette discipline, ou plutôt parce que la nation a un courage plus tranquille et plus réfléchi.


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  1. C’est ainsi qu’on lit dans les éditions de 1756, 1761, 1769, 1775, etc. M. Daunou, le premier, a, en 1825, remarqué qu’il fallait lire Christine. (B.)