Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
DE L’ANGLETERRE SOUS CHARLES II.

quatre mille hommes de troupes, et on lui reprochait cette garde comme s’il eût eu sur pied une puissante armée. Les rois n’avaient communément, avant lui, que cent hommes pour leur garde ordinaire.

On ne connut alors en Angleterre que deux partis politiques : celui des torys, qui embrassaient une soumission entière aux rois, et celui des whigs, qui soutenaient les droits des peuples, et qui limitaient ceux du pouvoir souverain. Ce dernier parti l’a presque toujours emporté sur l’autre.

Mais ce qui a fait la puissance de l’Angleterre, c’est que tous les partis ont également concouru, depuis le temps d’Élisabeth, à favoriser le commerce. Le même parlement qui fit couper la tête à son roi, fut occupé d’établissements maritimes comme si on eût été dans les temps les plus paisibles. Le sang de Charles Ier était encore fumant, quand ce parlement, quoique presque tout composé de fanatiques, fit en 1650 le fameux acte de la navigation, qu’on attribue au seul Cromwell, et auquel il n’eut d’autre part que celle d’en être fâché, parce que cet acte, très-préjudiciable aux Hollandais, fut une des causes de la guerre entre l’Angleterre et les sept Provinces, et que cette guerre, en portant toutes les grandes dépenses du côté de la marine, tendait à diminuer l’armée de terre, dont Cromwell était général. Cet acte de la navigation a toujours subsisté dans toute sa force. L’avantage de cet acte consiste à ne permettre qu’aucun vaisseau étranger puisse apporter en Angleterre des marchandises qui ne sont pas du pays auquel appartient le vaisseau[1].

  1. On voulut par cet acte punir les Hollandais des gains qu’ils faisaient en fournissant à l’Angleterre les marchandises étrangères. L’économie qu’ils savaient mettre dans les frais de transport leur permettait de les donner à un prix plus bas que les négociants nationaux ou les commerçants du pays même dont les denrées étaient tirées : ainsi cet acte n’eut d’autre effet que de faire payer aux Anglais les marchandises étrangères un peu plus cher, et d’augmenter le prix des transports par mer. La jalousie des marchands anglais fit porter cette loi, que l’on a regardée depuis comme le fruit d’une profonde politique. M. de Voltaire, qui n’avait point fait son étude principale des principes du commerce, se conforme ici à l’opinion commune ; mais, en partageant cette opinion, il n’en assigne pas moins, dans l’article suivant, les véritables causes de la richesse de l’Angleterre.

    Quant à la prime proposée pour encourager l’exportation des grains, elle a deux inconvénients : l’un, d’être un impôt levé sur la nation ; l’autre, d’élever un peu le prix moyen du blé pour l’Angleterre, comparé aux autres nations ; mais ces deux inconvénients sont peu sensibles. Cette loi n’a d’ailleurs aucun avantage qu’une liberté absolue n’eût procuré plus sûrement et plus complètement encore. Il est possible cependant que la faiblesse du gouvernement anglais contre toute insurrection populaire rende les emmagasinements peu sûrs. Alors la loi pourrait être un véritable encouragement pour la culture ; mais elle serait alors un remède qu’on oppose à un vice regardé comme incurable ; et, quelque bon que puisse être ce remède, il vaudrait mieux n’en avoir pas besoin. (K.)