Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
DE LA HOLLANDE AU XVIIe SIÈCLE.

sont devenus riches, et l’État pauvre. C’est qu’alors les premiers fruits du commerce avaient été consacrés à la défense publique.

Ce peuple ne possédait encore ni le cap de Bonne-Espérance, dont il ne s’empara qu’en 1653 sur les Portugais, ni Cochin et ses dépendances, ni Malaca. Il ne trafiquait point encore directement à la Chine. Le commerce du Japon, dont les Hollandais sont aujourd’hui les maîtres, leur fut interdit jusqu’en 1609 par les Portugais, ou plutôt par l’Espagne, maîtresse encore du Portugal. Mais ils avaient déjà conquis les Moluques ; ils commençaient à s’établir à Java, et la compagnie des Indes, depuis 1602 jusqu’en 1609, avait déjà gagné plus de deux fois son capital. Des ambassadeurs de Siam avaient déjà fait à ce peuple de commerçants, en 1608, le même honneur qu’ils firent depuis à Louis XIV. Des ambassadeurs du Japon vinrent, en 1609, conclure un traité à la Haye, sans que les états célébrassent cette ambassade par des médailles. L’empereur de Maroc et de Fez leur envoya demander un secours d’hommes et de vaisseaux. Ils augmentaient, depuis quarante ans, leur fortune et leur gloire par le commerce et par la guerre.

La douceur de ce gouvernement, et la tolérance de toutes les manières d’adorer Dieu, dangereuse peut-être ailleurs[1], mais là nécessaire, peuplèrent la Hollande d’une foule d’étrangers, et surtout de Wallons que l’Inquisition persécutait dans leur patrie, et qui d’esclaves devinrent citoyens.

La religion réformée, dominante dans la Hollande, servit encore à sa puissance. Ce pays, alors si pauvre, n’aurait puni suffire à la magnificence des prélats, ni nourrir des ordres religieux ; et cette terre, où il fallait des hommes, ne pouvait admettre ceux qui s’engagent par serment à laisser périr, autant qu’il est en eux, l’espèce humaine. On avait l’exemple de l’Angleterre, qui était d’un tiers plus peuplée depuis que les ministres des autels jouissaient de la douceur du mariage, et que les espérances des familles n’étaient point ensevelies dans le célibat du cloître.

  1. Lorsque Voltaire s’exprimait ainsi, c’était en 1756, après des persécutions qui lui avaient fait chercher une retraite sur les bords du lac de Genève. Sa position l’obligeait à des ménagements dans un ouvrage où il mettait son nom. Mais dans le moment même où il accordait que la tolérance est dangereuse peut-être, il la réclamait sans restriction dans les chapitres xxvii et xxviii de ses Mélanges, dont on a fait depuis, et qui forment la section ix de l’article Âme dans le Dictionnaire philosophique. Six ou sept ans plus tard, c’était aussi sans restriction qu’il disait : La tolérance n’a jamais excité de guerre civile ; l’intolérance a couvert la terre de carnage. Voyez le chapitre iv du Traité de la Tolérance (dans les Mélanges, année 1763). (B.)