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DE LA POLOGNE AU XVIIe SIÈCLE.

Quant à la religion, elle causa peu de troubles dans cette partie du monde. Les unitaires eurent quelque temps des églises dans la Pologne, dans la Lithuanie, au commencement du XVIIe siècle. Ces unitaires, qu’on appelle tantôt sociniens, tantôt ariens, prétendaient soutenir la cause de Dieu même, en le regardant comme un être unique, incommunicable, qui n’avait un fils que par adoption. Ce n’était pas entièrement le dogme des anciens eusébéiens. Ils prétendaient ramener sur la terre la pureté des premiers âges du christianisme, renonçant à la magistrature et à la profession des armes. Des citoyens qui se faisaient un scrupule de combattre ne semblaient pas propres pour un pays où l’on était sans cesse en armes contre les Turcs. Cependant cette religion fut assez florissante en Pologne jusqu’à l’année 1658. On la proscrivit dans ce temps-là parce que ces sectaires, qui avaient renoncé à la guerre, n’avaient pas renoncé à l’intrigue. Ils étaient liés avec Ragotski, prince de Transylvanie, alors ennemi de la république. Cependant ils sont encore en grand nombre en Pologne, quoiqu’ils y aient perdu la liberté de faire une profession ouverte de leurs sentiments.

Le déclamateur Maimbourg prétend qu’ils se réfugièrent en Hollande, où « il n’y a, dit-il, que la religion catholique qu’on ne tolère pas ». Le déclamateur Maimbourg se trompe sur cet article comme sur bien d’autres. Les catholiques sont si tolérés dans les Provinces-Unies qu’ils y composent le tiers de la nation, et jamais les unitaires ou les sociniens n’y ont eu d’assemblée publique. Cette religion s’est étendue sourdement en Hollande, en Transylvanie, en Silésie, en Pologne, mais surtout en Angleterre. On peut compter, parmi les révolutions de l’esprit humain, que cette religion, qui a dominé dans l’Église à diverses fois pendant trois cent cinquante années depuis Constantin, se soit reproduite dans l’Europe depuis deux siècles, et soit répandue dans tant de provinces sans avoir aujourd’hui de temple en aucun endroit du monde. Il semble qu’on ait craint d’admettre parmi les communions du christianisme une secte qui avait autrefois triomphé si longtemps de toutes les autres communions.

C’est encore une contradiction de l’esprit humain. Qu’importe, en effet, que les chrétiens reconnaissent dans Jésus-Christ un Dieu portion indivisible de Dieu, et pourtant séparée, ou qu’ils révèrent dans lui la première créature de Dieu ? Ces deux systèmes sont également incompréhensibles ; mais les lois de la morale, l’amour de Dieu et celui du prochain, sont également à la portée de tout le monde, également nécessaires.