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DU MOGOL.

Paris et Londres. Il traînait à sa suite ce riche et misérable empereur. Il l’enferma d’abord dans une tour, et se fit proclamer lui-même empereur des Indes.

Quelques officiers mogols essayèrent de profiter d’une nuit où les Persans s’étaient livrés à la débauche, pour prendre les armes contre leurs vainqueurs. Thamas Kouli-kan livra la ville au pillage ; presque tout fut mis à feu et à sang. Il emporta beaucoup plus de trésors de Delhi que les Espagnols n’en prirent à la conquête du Mexique. Ces richesses, amassées par un brigandage de quatre siècles, ont été apportées en Perse par un autre brigandage, et n’ont pas empêché les Persans d’être longtemps le plus malheureux peuple de la terre : elles y sont dispersées ou ensevelies pendant les guerres civiles jusqu’au temps où quelque tyran les rassemblera.

Kouli-kan, en partant des Indes pour retourner en Perse, eut la vanité de laisser le nom d’empereur à ce Mahamad-Sha qu’il avait détrôné ; mais il laissa le gouvernement à un vice-roi qui avait élevé le Grand Mogol, et qui s’était rendu indépendant de lui. Il détacha trois royaumes de ce vaste empire, Cachemire, Caboul, et Multan, pour les incorporer à la Perse, et imposa à l’Indoustan un tribut de quelques millions.

L’Indoustan fut gouverné alors par un vice-roi, et par un conseil que Thamas Kouli-kan avait établi. Le petit-fils d’Aurengzeb garda le titre de roi des rois et de souverain du monde, et ne fut plus qu’un fantôme. Tout est rentré ensuite dans l’ordre ordinaire quand Kouli-kan a été assassiné en Perse au milieu de ses triomphes : le Mogol n’a plus payé de tribut ; les provinces enlevées par le vainqueur persan sont retournées à l’empire.

Il ne faut pas croire que ce Mahamad, roi des rois, ait été despotique avant son malheur ; Aurengzeb l’avait été à force de soins, de victoires, et de cruautés. Le despotisme est un état violent qui semble ne pouvoir durer. Il est impossible que, dans un empire où des vice-rois soudoient des armées de vingt mille hommes, ces vice-rois obéissent longtemps et aveuglément. Les terres que l’empereur donne à ces vice-rois deviennent dès là même indépendantes de lui. Gardons-nous donc bien de croire que dans l’Inde le fruit de tous les travaux des hommes appartienne à un seul. Plusieurs castes indiennes ont conservé leurs anciennes possessions. Les autres terres ont été données aux grands de l’empire, aux raïas, aux nababs, aux omras. Ces terres sont cultivées, comme ailleurs, par des fermiers qui s’y enrichissent, et par des colons qui travaillent pour leurs maîtres. Le