Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
DE LA CHINE AU XVIIe SIÈCLE.

cette peinture générale du monde ; il suffit que l’empire ait été heureux sous ce prince ; c’est par là qu’il faut regarder et juger les rois.

Pendant le cours de cette révolution, qui dura plus de trente ans, une des plus grandes mortifications que les Chinois éprouvèrent fut que leurs vainqueurs les obligeaient à se couper les cheveux à la manière tartare. Il y en eut qui aimèrent mieux mourir que de renoncer à leur chevelure. Nous avons vu les Moscovites exciter quelques séditions quand le czar Pierre Ier les a obligés à se couper leur barbe, tant la coutume a de force sur le vulgaire.

Le temps n’a pas encore confondu la nation conquérante avec le peuple vaincu, comme il est arrivé dans nos Gaules, dans l’Angleterre, et ailleurs. Mais les Tartares ayant adopté les lois, les usages, et la religion des Chinois, les deux nations n’en composeront bientôt qu’une seule.

Sous le règne de ce Kang-ki les missionnaires d’Europe jouirent d’une grande considération ; plusieurs furent logés dans le palais impérial ; ils bâtirent des églises ; ils eurent des maisons opulentes. Ils avaient réussi en Amérique en enseignant à des sauvages les arts nécessaires ; ils réussirent à la Chine en enseignant les arts les plus relevés à une nation spirituelle. Mais bientôt la jalousie corrompit les fruits de leur sagesse ; et cet esprit d’inquiétude et de contention, attaché en Europe aux connaissances et aux talents, renversa les plus grands desseins.

On fut étonné à la Chine de voir des sages qui n’étaient pas d’accord sur ce qu’ils venaient enseigner, qui se persécutaient et s’anathématisaient réciproquement, qui s’intentaient des procès criminels à Rome[1] et qui faisaient décider dans des congrégations de cardinaux si l’empereur de la Chine entendait aussi bien sa langue que des missionnaires venus d’Italie et de France.

Ces querelles allèrent si loin que l’on craignit, dans la Chine, ou qu’on feignit de craindre les mêmes troubles qu’on avait essuyés au Japon[2]. Le successeur de Kang-ki défendit l’exercice de la religion chrétienne, tandis qu’on permettait la musulmane et les différentes sortes de bonzes. Mais cette même cour, sentant le besoin des mathématiques autant que le prétendu danger d’une religion nouvelle, conserva les mathématiciens, en leur imposant

  1. Voyez le chapitre xxxix des Disputes sur les cérémonies chinoises, etc., à la fin du Siècle de Louis XIV. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez le chapitre suivant concernant le Japon. (Id.)