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INTRODUCTION.

Il y a loin de là à la tiare ; mais il y a loin aussi du premier moine qui prêcha sur les bords du Rhin au bonnet électoral, et du premier chef des Saliens errants à un empereur romain : toute grandeur s’est formée peu à peu, et toute origine est petite.

Le pontife de Rome, dans l’avilissement de la ville, établissait insensiblement sa grandeur. Les Romains étaient pauvres, mais l’Église ne l’était pas. Constantin avait donné à la seule basilique de Latran plus de mille marcs d’or, et environ trente mille d’argent, et lui avait assigné quatorze mille sous de rente. Les papes, qui nourrissaient les pauvres, et qui envoyaient des missions dans tout l’Occident, ayant eu besoin de secours plus considérables, les avaient obtenus sans peine. Les empereurs et les rois lombards même leur avaient accordé des terres. Ils possédaient auprès de Rome des revenus et des châteaux qu’on appelait les justices de saint Pierre. Plusieurs citoyens s’étaient empressés à enrichir, par donation ou par testament, une église dont l’évêque était regardé comme le père de la patrie. Le crédit des papes était très-supérieur à leurs richesses : il était impossible de ne pas révérer une suite presque non interrompue de pontifes qui avaient consolé l’Église, étendu la religion, adouci les mœurs des Hérules, des Goths, des Vandales, des Lombards, et des Francs.

Quoique les pontifes romains n’étendissent, du temps des exarques, leur droit de métropolitain que sur les villes suburbicaires, c’est-à-dire sur les villes soumises au gouvernement du préfet de Rome, cependant on leur donnait souvent le nom de pape universel, à cause de la primauté et de la dignité de leur siège. Grégoire, surnommé le Grand, refusa ce titre, mais le mérita par ses vertus ; et ses successeurs étendirent leur crédit dans l’Occident. On ne doit donc pas s’étonner de voir au viiie siècle Boniface, archevêque de Mayence, le même qui sacra Pepin, s’exprimer ainsi dans la formule de son serment : « Je promets à saint Pierre et à son vicaire, le bienheureux Grégoire, etc. »

Enfin le temps vint où les papes conçurent le dessein de délivrer à la fois Rome, et des Lombards qui la menaçaient sans cesse, et des empereurs grecs qui la défendaient mal. Les papes virent donc alors que ce qui, dans d’autres temps, n’eût été qu’une révolte et une sédition impuissante et punissable, pouvait devenir une révolution excusable par la nécessité, et respectable par le succès. C’est cette révolution qui fut commencée sous le second Pepin, usurpateur du royaume de France, et consommée par Charlemagne, son fils, dans un temps où tout était en confusion, et où il fallait nécessairement que la face de l’Europe changeât.