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CHARLES IV.

Bar[1] en margraviat : ce qui fait voir que Bar relevait alors évidemment de l’empire. Pont-à-Mousson est aussi érigé en marquisat. Tout ce pays était donc réputé de l’empire. Quel chaos !

1355. Charles IV va en Italie se faire couronner ; il y marche plutôt en pèlerin qu’en empereur.

Le saint-siége était toujours sédentaire à Avignon. Le pape Innocent VI n’avait nul crédit dans Rome, l’empereur encore moins. L’empire n’était plus qu’un nom, et le couronnement qu’une vaine cérémonie. Il fallait aller à Rome comme Charlemagne et Othon le Grand, ou n’y point aller.

Charles IV et Innocent VI n’aimaient que les cérémonies. Innocent VI envoie d’Avignon le détail de tout ce qu’on doit observer au couronnement de l’empereur. Il marque que le préfet de Rome doit porter le glaive devant lui, que ce n’est qu’un honneur, et non pas une marque de juridiction. Le pape doit être sur son trône, entouré de ses cardinaux, et l’empereur doit commencer par lui baiser les pieds, puis il lui présente de l’or, et le baise au visage, etc. Pendant la messe, l’empereur fait quelques fonctions dans le rang des diacres ; on lui met la couronne impériale après la fin de la première épître. Après la messe, l’empereur, sans couronne et sans manteau, tient la bride du cheval du pape.

Aucune de ces cérémonies n’avait été pratiquée depuis que les papes demeuraient dans Avignon. L’empereur reconnut d’abord par écrit l’authenticité de ces usages. Mais le pape étant dans Avignon, et ne pouvant se faire baiser les pieds à Rome, ni se faire tenir l’étrier par l’empereur, déclara que ce prince ne baiserait point les pieds, ni ne conduirait la mule du cardinal qui représentait sa sainteté.

Charles IV alla donc donner ce spectacle ridicule avec une grande suite, mais sans armée ; il n’osa pas coucher dans Rome, selon la promesse qu’il en avait faite au saint-père. Anne sa femme, fille du comte palatin, fut couronnée aussi ; et en effet ce vain appareil était plutôt une vanité de femme qu’un triomphe d’empereur. Charles IV, n’ayant ni argent, ni armée, et n’étant venu à Rome que pour servir de diacre à un cardinal pendant la messe, reçut des affronts dans toutes les villes d’Italie où il passa.

Il y a une fameuse lettre de Pétrarque qui reproche à l’empereur sa faiblesse. Pétrarque était digne d’apprendre à Charles IV à penser noblement.

  1. Bar-le-Duc, chef-lieu du département de la Meuse.