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ANNALES DE L’EMPIRE.

1409. S’il y avait une manière légale et canonique de finir le schisme qui déchirait l’Europe chrétienne, c’était l’autorité du concile de Pise.

Deux anti-papes, successeurs d’anti-papes, prêtent leur nom à cette guerre civile et sacrée. L’un est ce fier Espagnol Pierre Luna ; l’autre, Corrario[1], Vénitien.

Le concile de Pise les déclare tous deux indignes du trône pontifical. Vingt-quatre cardinaux, avec l’approbation du concile, élisent, le 17[2] juin 1409, Philargi, né en Candie. Philargi, pape légitime, meurt au bout de dix mois. Tous les cardinaux qui se trouvaient alors à Rome nomment, d’un commun consentement, Balthasar Cossa, qui prend le nom de Jean XXIII. Il avait été nourri à la fois dans l’Église et dans les armes, s’étant fait corsaire dès qu’il fut diacre. Il s’était signalé dans des courses sur les côtes de Naples en faveur d’Urbain. Il acheta depuis chèrement un chapeau de cardinal, et une maîtresse, nommée Catherine, qu’il enleva à son mari. Il avait, à la tête d’une petite armée, repris Bologne sur les Viscontis. C’était un soldat sans mœurs ; mais enfin c’était un pape canoniquement élu.

Le schisme paraissait donc fini par les lois de l’Église ; mais la politique des princes le faisait durer, si on appelle politique cet esprit de jalousie, d’intrigue, de rapine, de crainte, et d’espérance, qui brouille tout dans le monde.

Une diète était assemblée à Francfort en 1409. L’empereur Robert y présidait ; les ambassadeurs des rois de France, d’Angleterre, de Pologne, y assistaient. Mais qu’arrive-t-il ? L’empereur soutenait une faction d’anti-pape ; la France, une autre. L’empereur et l’empire croyaient que c’était à eux d’assembler les conciles. La diète de Francfort traitait le concile de Pise, assemblé sans les ordres de l’empire, de conciliabule ; et on demandait un concile œcuménique. Il était donc arrivé que le concile de Pise, en croyant tout terminer, avait laissé trois papes à l’Europe au lieu de deux.

Le pape canonique était Jean XXIII, nommé solennellement à Rome. Les deux autres étaient Corrario et Pierre Luna : Corrario, errant de ville en ville ; Pierre Luna, enfermé dans Avignon par l’ordre de la cour de France, qui, sans le reconnaître, con-

  1. Il avait succédé, en novembre 1406, sous le nom de Grégoire XII, à Cosme Meliocati, Innocent VIII.
  2. Le 26, selon l’Art de vérifier les dates. Philargi est connu sous le nom d’Alexandre V. (Cl.)