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DE RODOLPHE II, MATHIAS, ET FERDINAND II.

s’être mis en possession, sans ses ordres, de son pays qui lui appartenait par les droits du sang. Les troupes impériales surprirent et saccagèrent Mantoue ; elles répandirent la terreur en Italie. Il commençait à resserrer cette ancienne chaîne qui avait lié l’Italie à l’Empire, et qui était relâchée depuis si longtemps. Cent cinquante mille soldats, qui vivaient à discrétion dans l’Allemagne, rendaient sa puissance absolue. Cette puissance s’exerçait alors sur un peuple bien malheureux ; on en peut juger par la monnaie, dont la valeur numéraire était alors quatre fois au-dessus de la valeur ancienne, et qui était encore altérée. Le duc de Valstein disait publiquement que le temps était venu de réduire les électeurs à la condition des ducs et pairs de France, et les évêques à la qualité de chapelains de l’empereur. C’est ce même Valstein qui voulut depuis se rendre indépendant, et qui ne voulait asservir ses supérieurs que pour s’élever sur eux.

L’usage que Ferdinand II faisait de son bonheur et de sa puissance fut ce qui détruisit l’un et l’autre. Il voulut se mêler en maître des affaires de la Suède et de la Pologne, et prendre parti contre le jeune Gustave-Adolphe, qui soutenait alors ses prétentions contre le roi de Pologne Sigismond, son parent. Ainsi ce fut lui-même qui, en forçant ce prince à venir en Allemagne, prépara sa propre ruine. Il hâta encore son malheur en réduisant les princes protestants au désespoir.

Ferdinand II se crut, avec raison, assez puissant pour casser la paix de Passau, faite par Charles-Quint, pour ordonner de sa seule autorité à tous les princes, à tous les seigneurs, de rendre les évêchés et les bénéfices dont ils s’étaient emparés (1629). Cet édit est encore plus fort que celui de la révocation de l’édit de Nantes, qui a fait tant de bruit sous Louis XIV. Ces deux entreprises semblables ont eu des succès bien différents. Gustave-Adolphe, appelé alors par les princes protestants que le roi de Danemark n’osait plus secourir, vint les venger en se vengeant lui-même.

L’empereur voulait rétablir l’Église pour en être le maître, et le cardinal de Richelieu se déclara contre lui. Rome même le traversa. La crainte de sa puissance était plus forte que l’intérêt de la religion. Il n’était pas plus extraordinaire que le ministre du roi très-chrétien, et la cour de Rome même, soutinssent le parti protestant contre un empereur redoutable qu’il ne l’avait été de voir François Ier et Henri II ligués avec les Turcs contre Charles-Quint. C’est la plus forte démonstration que la religion se tait quand l’intérêt parle.