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ANNALES DE L’EMPIRE.

cette bataille peut être comptée parmi celles qui font voir que le petit nombre l’a presque toujours emporté sur le grand, peut-être parce qu’il y a trop de confusion dans les armées immenses, et plus d’ordre dans les autres.

Ce fut le 12 septembre que se donna cette bataille, si c’en est une, et que Vienne fut délivrée. Le grand-vizir laissa vingt mille hommes dans les tranchées, et fit donner un assaut à la place, dans le temps même qu’il marchait contre l’armée chrétienne. Ce dernier assaut pouvait réussir contre des assiégés qui commençaient à manquer de poudre, et dont les canons étaient démontés ; mais la vue du secours ranima leurs forces. Cependant, le roi de Pologne, ayant harangué ses troupes de rang en rang, marchait d’un côté contre l’armée ottomane, et le duc de Lorraine de l’autre. Jamais journée ne fut moins meurtrière et plus décisive. Deux postes pris sur les Turcs décidèrent de la victoire. Les chrétiens ne perdirent pas plus de deux cents hommes. Les Ottomans en perdirent à peine mille : c’était sur la fin du jour. La terreur se mit pendant la nuit dans le camp du vizir. Il se retira précipitamment avec toute son armée. Cet aveuglement, qui succédait à une longue sécurité, fut si prodigieux, qu’ils abandonnèrent leurs tentes, leurs bagages, et jusqu’au grand étendard de Mahomet. Il n’y eut, dans cette grande journée, de faute comparable à celle du vizir que celle de ne le point poursuivre.

Le roi de Pologne envoya l’étendard de Mahomet au pape. Les Allemands et les Polonais s’enrichirent des dépouilles des Turcs. Le roi de Pologne écrivit à la reine sa femme, qui était une Française, fille du marquis d’Arquien, que le grand-vizir l’avait fait son héritier, et qu’il avait trouvé dans ses tentes la valeur de plusieurs millions de ducats. On connaît assez cette lettre dans laquelle il lui dit : « Vous ne direz pas de moi ce que disent les femmes tartares quand elles voient rentrer leurs maris les mains vides : « Vous n’êtes pas un homme, puisque vous revenez sans butin. »

Le lendemain 13 septembre, le roi Jean Sobieski fit chanter le Te Deum dans la cathédrale, et l’entonna lui-même. Cette cérémonie fut suivie d’un sermon dont le prédicateur prit pour texte : « Il fut un homme envoyé de Dieu, nommé Jean. »

Toute la ville s’empressait de venir rendre grâce à ce roi, et de baiser les mains de son libérateur, comme il le raconte lui-même. L’empereur arriva le 14, au milieu des acclamations qui n’étaient pas pour lui. Il vit le roi de Pologne hors des murs, et il y eut de la difficulté pour le cérémonial, dans un temps où la reconnaissance devait l’emporter sur les formalités.