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ÉTAT DE L’ALLEMAGNE SOUS CHARLES VI.

l’empire, le corps germanique soutint plus que jamais ses droits, il les augmenta même. La capitulation de Charles VI porte qu’aucun prince, aucun État de l’Allemagne ne pourra être mis au ban de l’empire que par un jugement des trois colléges, etc. On rappelle encore dans cette capitulation les traités de Vestphalie, regardés toujours comme une loi fondamentale.

L’Allemagne fut tranquille et florissante sous ce dernier empereur de la maison d’Autriche : car la guerre de 1716 contre les Turcs ne se fit que sur les frontières de l’empire ottoman, et rien ne fut plus glorieux.

Le prince Eugène y accrut encore cette grande réputation qu’il s’était acquise en Italie, en Flandre, en Allemagne. La victoire de Péterwaradin, la prise de Témesvar, signalèrent la campagne de 1716, et la suivante eut des succès encore plus étonnants : car le prince Eugène, en assiégeant Belgrade, se trouva lui-même assiégé dans son camp par cent cinquante mille Turcs. Il était dans la même situation où fut César au siége d’Alexie, et où le czar Pierre s’était trouvé au bord du Pruth. Il n’imita point l’empereur russe, qui mendia la paix. Il fit comme César ; il battit ses nombreux ennemis, et prit la ville. Couvert de gloire, il retourna à Vienne, où l’on parlait de lui faire son procès pour avoir hasardé l’État qu’il avait sauvé, et dont il avait reculé les bornes. Une paix avantageuse fut le fruit de ces victoires. Le système de l’Allemagne ne fut dérangé ni par cette guerre ni par cette paix, qui augmentaient les États de l’empereur ; au contraire, la constitution germanique s’affermissait. Les disgrâces du roi de Suède, Charles XII, accrurent les domaines des électeurs de Brandebourg et de Hanovre. Le corps de l’Allemagne en devenait plus considérable.

Les traités de Vestphalie reçurent à la vérité une atteinte dans ces acquisitions ; mais on conserva tous les droits acquis aux États de l’Allemagne par ces traités, en enlevant des provinces aux Suédois, à qui on devait en partie ces droits mêmes dont on jouissait. Les trois religions établies dans l’Allemagne s’y maintinrent paisiblement à l’ombre de leurs priviléges, et les petits différends inévitables n’y causèrent point de troubles civils.

Il faut surtout observer que l’Allemagne changea entièrement de face, du temps de Léopold, de Joseph Ier et de Charles VI. Les mœurs auparavant étaient rudes, la vie dure, les beaux-arts presque ignorés, la magnificence commode inconnue, presque pas une seule ville agréablement bâtie, aucune maison d’un architecture régulière et noble, point de jardins, point de manu-