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ÉTAT DE L’ALLEMAGNE SOUS CHARLES VI.

Allemands et par les Russes : mais il n’avait plus le prince Eugène, et tandis que les armées de la czarine Anne prenaient la Crimée, entraient dans la Valachie, et se proposaient de pénétrer à Andrinople, les Allemands furent vaincus. Une paix dommageable suivit leur défaite, Belgrade, Témesvar, Orsova, tout le pays entre le Danube et la Saxe demeura aux Ottomans ; le fruit des conquêtes du prince Eugène fut perdu, et l’empereur n’eut que la ressource cruelle de mettre en prison les généraux malheureux, de faire couper la tête à des officiers qui avaient rendu des villes, et de punir ceux qui se hâtèrent de faire, suivant ses ordres, une paix nécessaire.

Il mourut bientôt après. Les révolutions qui suivirent sa mort sont du ressort d’une autre histoire[1], et ces plaies, qui saignent encore, sont trop récentes pour les découvrir.

Un lecteur philosophe, après avoir parcouru cette longue suite d’empereurs, pourra faire réflexion qu’il n’y a eu que Frédéric III qui ait passé soixante et quinze ans, comme parmi les rois de France il n’y a eu que le seul Louis XIV. On voit au contraire un très-grand nombre de papes dont la carrière a été au-delà de quatre-vingts années. Ce n’est pas qu’en général les lois de la nature accordent une vie plus longue en Italie qu’en Allemagne et en France, mais c’est qu’en général les pontifes ont mené une vie plus sobre que les rois, qu’ils commencent plus tard à régner, et qu’il y a plus de papes que d’empereurs et de rois de France.

La durée des règnes de tous les empereurs qui ont passé en revue sert à confirmer la règle qu’a donnée Newton pour réformer l’ancienne chronologie[2]. Il veut que les générations des anciens souverains se comptent à vingt et un ans environ, l’une portant l’autre. En effet les cinquante empereurs depuis Charlemagne jusqu’à Charles VI composent une période de près de mille années : ce qui donne à chacun d’eux vingt ans de règne. On peut même réduire encore beaucoup cette règle de Newton dans les États sujets à des révolutions fréquentes. Sans remonter plus haut que l’empire romain, on trouvera environ quatre-vingt-dix règnes, depuis César jusqu’à Augustule, dans l’espace de cinq cents années.

Une autre réflexion importante qui se présente, c’est que de tous ces empereurs on n’en voit presque pas un, depuis Charlemagne, dont on puisse dire qu’il a été heureux. Charles-Quint

  1. Voyez les chapitres v et vi du Précis du Siècle de Louis XV.
  2. Voyez, dans les Mélanges, année 1734, la dix-septième des Lettres philosophiques.