Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/180

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politique de tenir entre elles, autant qu’elles peuvent, une balance égale de pouvoir, employant sans cesse les négociations, même au milieu de la guerre, et entretenant les unes chez les autres des ambassadeurs ou des espions moins honorables, qui peuvent avertir toutes les cours des desseins d’une seule, donner à la fois l’alarme à l’Europe, et garantir les plus faibles des invasions que le plus fort est toujours prêt d’entreprendre.

Depuis Charles-Quint la balance penchait du côté de la maison d’Autriche. Cette maison puissante était, vers l’an 1630, maîtresse de l’Espagne, du Portugal, et des trésors de l’Amérique ; les Pays-Bas, le Milanais, le royaume de Naples, la Bohême, la Hongrie, l’Allemagne même (si on peut le dire), étaient devenus son patrimoine ; et si tant d’États avaient été réunis sous un seul chef de cette maison, il est à croire que l’Europe lui aurait enfin été asservie.


DE L’ALLEMAGNE.


L’empire d’Allemagne est le plus puissant voisin qu’ait la France : il est d’une plus grande étendue ; moins riche peut-être en argent, mais plus fécond en hommes robustes et patients dans le travail. La nation allemande est gouvernée, peu s’en faut, comme l’était la France sous les premiers rois Capétiens, qui étaient des chefs, souvent mal obéis, de plusieurs grands vassaux et d’un grand nombre de petits. Aujourd’hui soixante villes libres, et qu’on nomme impériales, environ autant de souverains séculiers, près de quarante princes ecclésiastiques, soit abbés, soit évêques, neuf électeurs, parmi lesquels on peut compter aujourd’hui quatre rois[1], enfin l’empereur, chef de tous ces potentats, composent ce grand corps germanique, que le flegme allemand a fait subsister jusqu’à nos jours, avec presque autant d’ordre qu’il y avait autrefois de confusion dans le gouvernement français.

  1. Il n’y a plus dans ce moment (Juillet 1782) que huit électeurs, les deux électorats de la maison de Bavière étant réunis ; et de ces huit électeurs trois sont rois. (K.) — Les diverses éditions données du vivant de Voltaire portent dans le texte : les unes, quatre rois, les autres, trois rois, selon que l’électeur de Saxe était ou n’était pas roi de Pologne. Les trois autres rois-électeurs étaient ceux de Bohême, de Prusse (Brandebourg), d’Angleterre (Hanovre). L’empire d’Allemagne n’existe plus, voyez tome XIII, page 614 (Annales de l’Empire), note 1.-Beaucoup d’autres États de l’Europe ont subi des changements par suite de la Révolution française.