Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/322

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la franchir à la vue de l’ennemi. Elle était à peine guéable en trois endroits. La cavalerie passa à la nage, l’infanterie était dans l’eau jusqu’aux épaules ; mais à l’autre bord il fallait encore traverser un marais ; ensuite on trouvait un terrain escarpé qui formait un retranchement naturel. Le roi Guillaume fit passer son armée en trois endroits, et engagea la bataille. Les Irlandais, que nous avons vu de si bons soldats en France et en Espagne, ont toujours mal combattu chez eux[1]. Il y a des nations dont l’une semble faite pour être soumise à l’autre. Les Anglais ont toujours eu sur les Irlandais la supériorité du génie, des richesses, et des armes[2]. Jamais l’Irlande n’a pu secouer le joug de l’Angleterre, depuis qu’un simple seigneur anglais la subjugua. Les Français combattirent à la journée de la Boyne, les Irlandais s’enfuirent. Leur roi Jacques n’ayant paru, dans l’engagement, ni à la tête des Français ni à la tête des Irlandais, se retira le premier[3]. Il avait toujours cependant montré beaucoup de valeur ; mais il y a des occasions où l’abattement d’esprit l’emporte sur le courage. Le roi Guillaume, qui avait eu l’épaule effleurée d’un coup de canon avant la bataille, passa pour mort en France. Cette fausse nouvelle fut reçue à Paris avec une joie indécente et honteuse. Quelques magistrats subalternes encouragèrent les bourgeois et

  1. Le Mercure de 1753, juin, premier volume, contient, page 140, une Lettre à M. de Voltaire, sur son Histoire de Louis XIV, par M***. L’auteurde cette Lettre, qui, dans la guerre d’Irlande, combattit contre Guillaume, après quelques détails sur différents combats demande à Voltaire comment il a « pu dire que les Irlandais s’étaient toujours mal battus chez eux ». (B.)
  2. On lisait dans les premières éditions, « la supériorité que les blancs ont sur les nègres ». M. de Voltaire effaça cette expression injurieuse. L’état presque sauvage où était l’Irlande lorsqu’elle fut conquise, la superstition, l’oppression exercée par les Anglais, le fanatisme religieux qui divise les Irlandais en deux nations ennemies : telles sont les causes qui ont retenu ce peuple dans rabaissement et dans la faiblesse. Les haines religieuses se sont assoupies, et il a repris sa liberté. Les Irlandais ne le cèdent plus aux Anglais, ni en industrie, ni en lumières, ni en courage. (K.) — L’édition de Berlin, 1751, deux volumes petit in-12, est la seule dans laquelle on lise : « Les Anglais ont toujours eu sur les Irlandais cette espèce de supériorité que les hommes blancs ont sur les nègres. » Les éditions de 1752 ont le texte actuel. (B.)
  3. Les nouveaux Mémoires de Berwick disent le contraire ; mais plusieurs historiens, et entre autres le chevalier Dalrymple, sont d’accord avec M. de Voltaire. Schomberg, qui avait quitté le service de France à cause de sa religion, combattit les troupes françaises à la tête des réfugiés français. Blessé mortellement, il criait aux troupes qui passaient devant lui : « À la gloire, mes amis ! à la gloire ! » Ces troupes ayant été mises en désordre, Callemotte, qui remplaçait Schomberg, les rallia, et leur montrant les régiments français : « Messieurs, voilà vos persécuteurs. » Ainsi les dragonnades furent une des principales causes de la perte de la bataille de la Boyne, et de l’oppression des catholiques dans les trois royaumes. (K.)