Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/369

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à l’ennemi ; mais quelques lieutenants généraux firent des difficultés, et formèrent des cabales contre lui. Il eut la faiblesse de ne se pas faire obéir. La modération de son esprit lui fit commettre cette grande faute. Eugène força d’abord le poste de Carpi, auprès du canal Blanc, défendu par Saint-Fremont, qui ne suivit pas en tout les ordres du général, et qui se fit battre. Après ce succès, l’armée allemande fut maîtresse du pays entre l’Adige et l’Adda ; elle pénétra dans le Bressan, et Catinat recula jusque derrière l’Oglio. Beaucoup de bons officiers approuvaient cette retraite qui leur paraissait sage, et il faut encore ajouter que le défaut des munitions promises par le ministre la rendait nécessaire. Les courtisans, et surtout ceux qui espéraient de commander à la place de Catinat, firent regarder sa conduite comme l’opprobre du nom français. Le maréchal de Villeroi persuada qu’il réparerait l’honneur de la nation. La confiance avec laquelle il parla, et le goût que le roi avait pour lui, obtinrent à ce général le commandement en Italie. Le maréchal de Catinat, malgré les victoires de Staffarde et de la Marsaille, fut obligé de servir sous lui.

Le maréchal duc de Villeroi, fils du gouverneur du roi, élevé avec lui, avait eu toujours sa faveur : il avait été de toutes ses campagnes et de tous ses plaisirs ; c’était un homme d’une figure agréable et imposante, très-brave, très-honnête homme, bon ami, vrai dans la société, magnifique en tout[1]. Mais ses ennemis disaient qu’il était plus occupé, étant général d’armée, de l’honneur et du plaisir de commander que des desseins d’un grand capitaine. Ils lui reprochaient un attachement à ses opinions qui ne déférait aux avis de personne.

Il vint en Italie donner des ordres au maréchal de Catinat, et des dégoûts au duc de Savoie. Il faisait sentir qu’il pensait en effet qu’un favori de Louis XIV, à la tête d’une puissante armée, était fort au-dessus d’un prince : il ne l’appelait que Mons de Savoie ; il le traitait comme un général à la solde de France, et

  1. L’auteur, qui dans sa jeunesse eut l’honneur de le voir souvent, a droit d’assurer que c’était là son caractère. La Beaumelle, qui insulte les maréchaux de Villeroi et de Villars, et tant d’autres, dans ses notes du Siècle de Louis XIV, parle ainsi de feu M. le maréchal de Villeroi, page 102, tome III des Mémoires de madame de Maintenon : « Villeroi le fastueux, qui amusait les femmes avec tant de légèreté, et qui disait à ses gens avec tant d’arrogance : A-t-on mis de l’or dans mes poches ? » Comment peut-il attribuer, je ne dis pas à un grand seigneur, mais à un homme bien élevé, ces paroles qu’on attribuait autrefois à un financier ridicule ? Comment peut-il parler de tant d’hommes du siècle passé, du ton d’un homme qui les aurait vus ? et comment peut-on écrire si insolemment de telles indécences, de telles faussetés, et de telles sottises ? (Note de Voltaire.)