Les Anglais étaient sous les ordres d’un des plus singuliers hommes qu’ait jamais portés ce pays si fertile en esprits fiers, courageux et bizarres. C’était le comte Péterborough[1], homme qui ressemblait en tout à ces héros dont l’imagination des Espagnols a rempli tant de livres. À quinze ans, il était parti de Londres pour aller faire la guerre aux Maures en Afrique : il avait à vingt ans commencé la révolution d’Angleterre, et s’était rendu le premier en Hollande, auprès du prince d’Orange ; mais, de peur qu’on ne soupçonnât la raison de son voyage, il s’était embarqué pour l’Amérique, et de là il était allé à la Haye sur un vaisseau hollandais. Il perdit, il donna tout son bien, et rétablit sa fortune plus d’une fois. Il faisait alors la guerre en Espagne, presque à ses dépens, et nourrissait l’archiduc et toute sa maison. C’était lui qui assiégeait Barcelone avec le prince de Darmstadt[2]. Il lui propose une attaque soudaine aux retranchements qui couvrent le fort Mont-Joui et la ville. Ces retranchements, où le prince de Darmstadt périt, sont emportés l’épée à la main. Une bombe crève dans le fort sur le magasin des poudres, et le fait sauter ; le fort est pris ; la ville capitule. Le vice-roi parle à Péterborough, à la porte de cette ville. Les articles n’étaient pas encore signés, quand on entend tout à coup des cris et des hurlements. « Vous nous trahissez, dit le vice-roi à Péterborough : nous capitulons avec bonne foi, et voilà vos Anglais qui sont entrés dans la ville par les remparts. Ils égorgent, ils pillent, ils violent. — Vous vous méprenez, répondit le comte Péterborough : il faut que ce soit des troupes du prince de Darmstadt. Il n’y a qu’un moyen de sauver votre ville : c’est de me laisser entrer sur-le-champ avec mes Anglais ; j’apaiserai tout, et je reviendrai à la porte achever la capitulation. » Il parlait d’un ton de vérité et de grandeur qui, joint au danger présent, persuada le gouverneur : on le laissa entrer. Il court avec ses officiers ; il trouve des Allemands et des Catalans qui, joints à la populace de la ville, saccageaient les maisons des principaux citoyens : il les chasse ; il leur fait quitter le butin qu’ils enlevaient ; il rencontre la duchesse de Popoli entre les mains des soldats, prête à être déshonorée ; il la rend à son mari. Enfin, ayant tout apaisé, il retourne à cette porte et signe la capitulation. Les Espagnols étaient confondus de voir tant de