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MARINE.

là qu’un commencement ; mais tandis qu’on fait de nouveaux règlements et de nouveaux efforts, il sent déjà toute sa force. Il ne veut pas consentir que ses vaisseaux baissent leur pavillon devant celui d’Angleterre. En vain le conseil du roi Charles II insiste sur ce droit, que la force, l’industrie, et le temps, avaient donné aux Anglais. Louis XIV écrit au comte d’Estrades, son ambassadeur : « Le roi d’Angleterre et son chancelier peuvent voir quelles sont mes forces ; mais ils ne voient pas mon cœur. Tout ne m’est rien à l’égard de l’honneur. »

Il ne disait que ce qu’il était résolu de soutenir ; et en effet l’usurpation des Anglais céda au droit naturel et à la fermeté de Louis XIV. Tout fut égal entre les deux nations sur la mer. Mais tandis qu’il veut l’égalité avec l’Angleterre, il soutient sa supériorité avec l’Espagne. Il fait baisser le pavillon aux amiraux espagnols devant le sien, en vertu de cette préséance solennelle accordée en 1662.

Cependant on travaille de tous côtés à l’établissement d’une marine capable de justifier ces sentiments de hauteur. On bâtit la ville et le port de Rochefort, à l’embouchure de la Charente. On enrôle, on enclasse des matelots, qui doivent servir, tantôt sur les vaisseaux marchands, tantôt sur les flottes royales. Il s’en trouve bientôt soixante mille d’enclassés[1].

Des conseils de construction sont établis dans les ports pour donner aux vaisseaux la forme la plus avantageuse. Cinq arsenaux de marine sont bâtis à Brest, à Rochefort, à Toulon, à Dunkerque, au Havre-de-Grâce. Dans l’année 1672, on a soixante vaisseaux de ligne et quarante frégates. Dans l’année 1681, il se trouve cent quatre-vingt-dix-huit vaisseaux de guerre, en comptant les allèges ; et trente galères sont dans le port de Toulon, ou armées, ou prêtes à l’être. Onze mille hommes de troupes réglées servent sur les vaisseaux ; les galères en ont trois mille. Il y a cent soixante-six mille hommes d’en classés pour tous les services divers de la marine. On compta, les années suivantes, dans ce service, mille gentilshommes ou enfants de famille, faisant la fonction de soldats sur les vaisseaux, et apprenant dans les ports tout ce qui prépare à l’art de la navigation et à la manœuvre : ce sont les gardes-marines ; ils étaient sur mer ce que les cadets étaient sur terre. On les avait institués en 1672, mais en petit nombre. Ce corps a été l’école d’où sont sortis les meilleurs officiers de vaisseaux.

  1. C’est là l’origine de l’inscription maritime.