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FINANCES ET RÈGLEMENTS.

livres, et puis à vingt-huit livres le marc d’argent. Ainsi tout le surplus fut toujours fourni en affaires extraordinaires. Colbert, le plus grand ennemi de cette funeste ressource, fut obligé d’y avoir recours pour servir promptement. Il emprunta huit cents millions, valeur de notre temps, dans la guerre de 1672. Il restait au roi très-peu d’anciens domaines de la couronne. Ils sont déclarés inaliénables par tous les parlements du royaume, et cependant ils sont presque tous aliénés. Le revenu du roi consiste aujourd’hui dans celui de ses sujets ; c’est une circulation perpétuelle dé dettes et de paiements. Le roi doit aux citoyens plus de millions numéraires par an, sous le nom de rentes de l’Hôtel de Ville, qu’aucun roi n’en a jamais retiré des domaines de la couronne.

Pour se faire une idée de ce prodigieux accroissement de taxes, de dettes, de richesses, de circulation, et en même temps d’embarras et de peines, qu’on a éprouvés en France et dans les autres pays, on peut considérer qu’à la mort de François {{{{Ier}}}} l’État devait environ trente mille livres de rentes perpétuelles sur l’Hôtel de Ville, et qu’à présent il en doit plus de quarante-cinq millions.

Ceux qui ont voulu comparer les revenus de Louis XIV avec ceux de Louis XV ont trouvé, en ne s’arrêtant qu’au revenu fixe et courant, que Louis XIV était beaucoup plus riche en 1683, époque de la mort de Colbert, avec cent dix-sept millions de revenu, que son successeur ne l’était, en 1730, avec près de deux cents millions ; et cela est très-vrai, en ne considérant que les rentes fixes et ordinaires de la couronne : car cent dix-sept millions numéraires au marc de vingt-huit livres sont une somme plus forte que deux cents millions à quarante-neuf livres, à quoi se montait le revenu du roi en 1730, et de plus il faut compter les charges augmentées par les emprunts de la couronne ; mais aussi les revenus du roi, c’est-à-dire de l’État, sont accrus depuis, et l’intelligence des finances s’est perfectionnée au point que, dans la guerre ruineuse de 1741, il n’y a pas eu un moment de discrédit. On a pris le parti de faire des fonds d’amortissement, comme chez les Anglais : il a fallu adopter une partie de leur système de finance, ainsi que leur philosophie ; et si, dans un État purement monarchique, on pouvait introduire ces papiers circulant qui doublent au moins la richesse de l’Angleterre, l’administration de la France acquerrait son dernier degré de perfection, mais perfection trop voisine de l’abus dans une monarchie[1].

  1. L’abbé de Saint-Pierre, dans son Journal politique à l’article du Système, dit qu’en Angleterre et en Hollande il n’y a de papiers qu’autant qu’il y a d’es-