Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/165

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ne peut s’empêcher de rapporter ici l’action d’un Français célèbre par ses aventures singulières. Un comte de Bonneval, qui avait quitté le service de France sur quelques mécontentements du ministère, major général alors sous le prince Eugène, se trouva dans cette bataille entouré d’un corps nombreux de janissaires ; il n’avait auprès de lui que deux cents soldats de son régiment ; il résista une heure entière, et, ayant été abattu d’un coup de lance, dix soldats qui lui restaient le portèrent à l’armée victorieuse. Ce même homme, proscrit en France, vint ensuite se marier publiquement à Paris ; et, quelques années après, il alla prendre le turban à Constantinople, où il est mort bacha.

Le grand-vizir Ali fut blessé à mort dans la bataille. Les mœurs turques n’étaient pas encore adoucies ; ce vizir, avant d’expirer, fit massacrer un général de l’empereur qui était son prisonnier[1].

(1717) L’année d’après, le prince Eugène assiégea Belgrade, dans laquelle il y avait près de quinze mille hommes de garnison : il se vit lui-même assiégé par une armée innombrable de Turcs, qui avançaient contre son camp, et qui l’environnèrent de tranchées ; il était précisément dans la situation où se trouva César en assiégeant Alexie[2] ; il s’en tira comme lui : il battit les ennemis et prit la ville ; toute son armée devait périr ; mais la discipline militaire triompha de la force et du nombre.

(1718) Ce prince mit le comble à sa gloire par la paix de Passarovitz, qui donna Belgrade et Témesvar à l’empereur ; mais les Vénitiens, pour qui on avait fait la guerre, furent abandonnés et perdirent la Grèce sans retour,

La face des affaires ne changeait pas moins entre les princes chrétiens. L’intelligence et l’union de la France et de l’Espagne, qu’on avait tant redoutée, et qui avait alarmé tant d’États, fut rompue dès que Louis XIV eut les yeux fermés. Le duc d’Orléans, régent de France, quoique irréprochable sur les soins de la conservation de son pupille, se conduisit comme s’il eût dû lui succéder. Il s’unit étroitement avec l’Angleterre, réputée l’ennemie naturelle de la France, et rompit ouvertement avec la branche de Bourbon qui régnait à Madrid ; et Philippe V, qui avait renoncé à la couronne de France par la paix, excita, ou plutôt prêta son nom pour exciter des séditions en France, qui devaient lui donner la régence d’un pays où il ne pouvait régner. Ainsi, après la mort de Louis XIV, toutes les vues, toutes les négocia-

  1. Il s’appelait Breûner (Note de Voltaire, 1763.)
  2. Ou mieux Alesia.