Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/196

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ment, fut quelque temps après relégué en Sibérie, où[1] il vécut vingt ans dans une extrême misère, pour reparaître ensuite avec éclat. Telle est la vicissitude des grandeurs.

À l’égard des quinze cents Français qu’on avait si imprudemment envoyés contre une armée entière de Russes, ils firent une capitulation honorable ; mais un navire de Russie ayant été pris dans ce temps-là même par un vaisseau du roi de France, les quinze cents hommes furent retenus et transportés auprès de Pétersbourg : ils pouvaient s’attendre à être inhumainement traités dans un pays qu’on avait regardé comme barbare au commencement du siècle. L’impératrice Anne régnait alors ; elle traita les officiers comme des ambassadeurs, et fit donner aux soldats des rafraîchissements et des habits. Cette générosité inouïe jusqu’alors était en ce même temps l’effet du prodigieux changement que le czar Pierre avait fait dans la cour de Russie, et une espèce de vengeance noble que cette cour voulait prendre des idées désavantageuses sous lesquelles l’ancien préjugé des nations l’envisageait encore.

Le ministère de France eût entièrement perdu cette réputation nécessaire au maintien de sa grandeur si elle[2] n’eût tiré vengeance de l’outrage qu’on lui avait fait en Pologne ; mais cette vengeance n’était rien, si elle n’était pas utile. L’éloignement des lieux ne permettait pas qu’on se portât sur les Russes[3], et la politique voulait que la vengeance tombât sur l’empereur. On l’exécuta efficacement en Allemagne et en Italie. La France s’unit avec l’Espagne et la Sardaigne. Ces trois puissances avaient leurs intérêts divers, qui tous concouraient au même but d’affaiblir l’Autriche.

Les ducs de Savoie avaient depuis longtemps accru petit à petit leurs États, tantôt en donnant des secours aux empereurs, tantôt en se déclarant contre eux. Le roi Charles-Emmanuel espérait le Milanais ; et il lui fut promis par les ministres de Versailles et de Madrid. Le roi d’Espagne Philippe V, ou plutôt la reine Élisabeth de Parme, son épouse, espérait pour ses enfants de plus grands établissements que Parme et Plaisance.[4] Fleury

  1. Je suis toujours le texte de l’exemplaire dont j’ai parlé dans mon Avertissement. Dans toutes les éditions on lit : «… où il vécut dans une extrême misère, pour reparaître ensuite avec éclat. Telle est la vicissitude des grandeurs. » (B.)
  2. Elle se rapporte à la France.
  3. Toutes les éditions portent Moscovites. (B.)
  4. Au lieu de tout ce qui suit, et que je donne toujours d’après l’exemplaire