Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attribué les empereurs d’Allemagne, de créer des rois, avait érigé, en 1701, la Prusse ducale en royaume, en faveur de l’électeur de Brandebourg, Frédéric-Guillaume[1]. La Prusse n’était encore qu’un vaste désert ; mais Frédéric-Guillaume II, son second roi, qui avait une politique différente de celle des princes de son temps, dépensa près de vingt-cinq millions de notre monnaie à faire défricher ces terres, à bâtir des villages, et à les peupler : il y fit venir des familles de Suabe et de Franconie ; il y attira plus de seize mille émigrants de Saltzbourg, leur fournissant à tous de quoi s’établir et de quoi travailler. En se formant ainsi un nouvel État, il créait, par une économie singulière, une puissance d’une autre espèce : il mettait tous les mois environ quarante mille écus d’Allemagne en réserve, tantôt plus, tantôt moins ; ce qui lui composa un trésor immense en vingt-huit années de règne. Ce qu’il ne mettait pas dans ses coffres lui servait à former une armée d’environ soixante et dix mille hommes choisis, qu’il disciplina lui-même d’une manière nouvelle, sans néanmoins s’en servir ; mais son fils Frédéric III[2] fit usage de tout ce que le père avait préparé. Il prévit la confusion générale, et ne perdit pas un moment pour en profiter. Il prétendait en Silésie quatre duchés. Ses aïeux avaient renoncé à toutes leurs prétentions par des transactions réitérées, parce qu’ils étaient faibles : il se trouva puissant, et il les réclama.

Déjà la France, l’Espagne, la Bavière, la Saxe, se remuaient pour faire un empereur. La Bavière pressait la France de lui procurer au moins un partage de la succession autrichienne. L’électeur réclamait tous ces héritages par ses écrits ; mais il n’osait les demander tout entiers par ses ministres. Cependant Marie-Thérèse, épouse du grand-duc de Toscane François de Lorraine, se mit d’abord en possession de tous les domaines qu’avait laissés son père ; elle reçut les hommages des États d’Autriche à Vienne, le 7 novembre 1740. Les provinces d’Italie, la Bohême, lui firent leurs sermons par leurs députés : elle gagna surtout l’esprit des Hongrois en se soumettant à prêter l’ancien

  1. Le premier roi de Prusse ne s’appelait que Frédéric (voyez tome XIII, page 214, et ci-après, page 195). Comme électeur de Brandebourg, il était Frédéric III ; comme roi, il est Frédéric Ier. (B.)
  2. Ce titre est celui que donne à ce monarque l’Art de vérifier les dates ; mais Frédéric-Guillaume, dit le Grand, père du premier roi de Prusse, n’ayant été qu’électeur, on donna le nom de Frédéric-Guillaume Ier au second roi de Prusse ; voyez, tome XIII, page 214, la liste des électeurs de Brandebourg.