Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/204

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patria ; il raya pro Deo, disant qu’il ne fallait point ainsi mêler le nom de Dieu dans les querelles des hommes, et qu’il s’agissait d’une province et non de religion. Il fit porter devant son régiment des gardes l’aigle romaine éployée en relief au haut d’un bâton doré : cette nouveauté lui imposait la nécessité d’être invincible. Il harangua son armée pour ressembler en tout aux anciens Romains. Entrant ensuite en Silésie, il s’empara de presque toute cette province dont on lui avait refusé une partie ; mais rien n’était encore décidé. Le général Neuperg vint avec environ vingt-quatre mille Autrichiens au secours de cette province déjà envahie : il mit le roi de Prusse dans la nécessité de donner bataille à Molvitz, près de la rivière de Neiss[1]. On vit alors ce que valait l’infanterie prussienne : la cavalerie du roi, moins forte de près de moitié que l’autrichienne, fut entièrement rompue ; la première ligne de son infanterie fut prise en flanc, on crut la bataille perdue ; tout le bagage du roi fut pillé ; et ce prince, en danger d’être pris, fut entraîné loin du champ de bataille par tous ceux qui l’environnaient ; la seconde ligne de l’infanterie rétablit tout, par cette discipline inébranlable à laquelle les soldats prussiens sont accoutumés, par ce feu continuel qu’ils font en tirant cinq coups au moins par minute, et chargeant leurs fusils avec leurs baguettes de fer en un moment. La bataille fut gagnée ; et cet événement devint le signal d’un embrasement universel.


CHAPITRE VI.

LE ROI DE FRANCE S’UNIT AUX ROIS DE PRUSSE ET DE POLOGNE POUR FAIRE ÉLIRE EMPEREUR L’ÉLECTEUR DE BAVIÈRE, CHARLES-ALBERT. CE PRINCE EST DÉCLARE LIEUTENANT GÉNÉRAL DU ROI DE FRANCE. SON ÉLECTION, SES SUCCÈS ET SES PERTES RAPIDES.


L’Europe crut que le roi de Prusse était déjà d’accord avec la France quand il prit la Silésie ; on se trompait : c’est ce qui arrive presque toujours lorsqu’on raisonne d’après ce qui n’est que vraisemblable. Le roi de Prusse hasardait beaucoup, comme il

  1. Le 10 avril 1741.