Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/90

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même Sa Majesté chinoise et les lettrés d’être des athées qui n’admettaient que le ciel matériel. Il ajouta qu’il y avait un savant évêque de Conon qui expliquerait tout cela si Sa Majesté daignait l’entendre. La surprise du monarque redoubla, en apprenant qu’il y avait des évêques dans son empire. Mais celle du lecteur ne doit pas être moindre en voyant que ce prince indulgent poussa la honte jusqu’à permettre à l’évêque de Conon de venir lui parler contre la religion, contre les usages de son pays, et contre lui-même. L’evêque de Conon fut admis à son audience. Il savait très-peu de chinois. L’empereur lui demanda d’abord l’explication de quatre caractères peints en or au-dessus de son trône. Maigrot n’en sut lire que deux ; mais il soutint que les mots king-tien, que l’empereur avait écrits lui même sur des tablettes, ne signifiaient pas adorez le Seigneur du Ciel. L’empereur eut la patience de lui expliquer par interprètes que c’était précisément le sens de ces mots. Il daigna entrer dans un long examen. Il justifia les honneurs qu’on rendait aux morts. L’évêque fut inflexible. On peut croire que les jésuites avaient plus de crédit à la cour que lui. L’empereur, qui par les lois pouvait le faire punir de mort, se contenta de le bannir. Il ordonna que tous les Européans qui voudraient rester dans le sein de l’empire viendraient désormais prendre de lui des lettres patentes, et subir un examen.

Pour le légat de Tournon, il eut ordre de sortir de la capitale. Dès qu’il fut à Nankin, il y donna un mandement qui condamnait absolument les rites de la Chine à l’égard des morts, et qui défendait qu’on se servît du mot dont s’était servi l’empereur pour signifier le Dieu du ciel.

Alors le légat fut relégué à Macao, dont les Chinois sont toujours les maîtres, quoiqu’ils permettent aux Portugais d’y avoir un gouverneur. Tandis que le légat était confiné à Macao, le pape lui envoyait la barrette ; mais elle ne lui servit qu’à le faire mourir cardinal. Il finit sa vie en 1710. Les ennemis des jésuites leur imputèrent sa mort. Ils pouvaient se contenter de leur imputer son exil.

Ces divisions, parmi les étrangers qui venaient instruire l’empire, discréditèrent la religion qu’ils annonçaient. Elle fut encore plus décriée lorsque la cour, ayant apporté plus d’attention à connaître les Européans, sut que non-seulement les missionnaires étaient ainsi divisés, mais que parmi les négociants qui abordaient à Canton il y avait plusieurs sectes ennemies jurées l’une de l’autre.