Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
PRÉFACE DE L'ÉDITION DE 1748.


son crucifix du fond de la mer, et qui se trouva à la fois sur deux vaisseaux.

Mais les prêtres égyptiens étaient tous sorciers, et Hérodote admire la science profonde qu’ils avaient de la diablerie : ne croyez pas tout ce que vous dit Hérodote.

Je me défierai de tout ce qui est prodige ; mais dois-je porter l’incrédulité jusqu’aux faits qui, étant dans l’ordre ordinaire des choses humaines, manquent pourtant d’une vraisemblance morale ?

Par exemple, Plutarque assure que César tout armé se jeta dans la mer d’Alexandrie, tenant d’une main en l’air des papiers qu’il ne voulait pas mouiller, et nageant de l’autre main. Ne croyez pas un mot de ce conte que vous fait Plutarque : croyez plutôt César, qui n’en dit mot dans ses Commentaires, et soyez bien sûr que quand on se jette dans la mer, et qu’on tient des papiers à la main, on les mouille.

Vous trouverez dans Quinte-Curce qu’Alexandre et ses généraux furent tout étonnés quand ils virent le flux et le reflux de l’Océan, auquel ils ne s’attendaient pas : n’en croyez rien,

Il est bien vraisemblable qu’Alexandre, étant ivre, ait tué Clitus ; qu’il ait aimé Éphestion comme Socrate aimait Alcibiade ; mais il ne l’est point du tout que le disciple d’Aristote ignorât le flux et le reflux de l’Océan. Il y avait des philosophes dans son armée : c’était assez d’avoir été sur l’Euphrate, qui a des marées à son embouchure, pour être instruit de ce phénomène. Alexandre avait voyagé en Afrique, dont les côtes sont baignées par l’Océan. Son amiral Néarque pouvait-il être assez ignorant pour ne pas savoir ce que savaient tous les enfants sur le rivage du fleuve Indus ? De pareilles sottises, répétées dans tant d’auteurs, décréditent trop les historiens.

Le P. Maimbourg vous redit, après cent autres, que deux juifs promirent l’empire à Léon l’isaurien, à condition que quand il serait empereur il abattrait les images[1]. Quel intérêt, je vous prie, avaient ces deux juifs à empêcher que les chrétiens eussent des tableaux ? comment ces deux misérables pouvaient-ils promettre l’empire ? N’est-ce pas insulter à son lecteur que de lui présenter de telles fables ?

Il faut avouer que Mézerai, dans son style dur, bas, inégal, mêle aux faits mal digérés qu’il rapporte bien des absurdités pareilles : tantôt c’est Henri V, roi d’Angleterre, couronné roi de France à Paris, qui meurt des hémorroïdes pour s’être, dit-il,

  1. Voyez tome XI, page 256.