Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
HISTOIRE DE CHARLES XII.


barquer, et dès le lendemain un vent favorable les lui amena.

Tout cela s’était fait à la vue de la flotte danoise, qui n’avait osé s’avancer. Copenhague, intimidée, envoya aussitôt des députés au roi pour le supplier de ne point bombarder la ville. Il les reçut à cheval, à la tête de son régiment des gardes : les députés se mirent à genoux devant lui ; il fit payer à la ville quatre cent mille rixdales, avec ordre de faire voiturer au camp toutes sortes de provisions, qu’il promit de faire payer fidèlement. On lui apporta des vivres, parce qu’il fallait obéir ; mais on ne s’attendait guère que des vainqueurs daignassent payer ; ceux qui les apportèrent furent bien étonnés d’être payés généreusement et sans délai par les moindres soldats de l’armée. Il régnait depuis longtemps dans les troupes suédoises une discipline qui n’avait pas peu contribué à leurs victoires : le jeune roi en augmenta encore la sévérité. Un soldat n’eût pas osé refuser le payement de ce qu’il achetait, encore moins aller en maraude, pas même sortir du camp. Il voulut de plus que, dans une victoire, ses troupes ne dépouillassent les morts qu’après en avoir eu la permission ; et il parvint aisément à faire observer cette loi. On faisait toujours dans son camp la prière deux fois par jour, à sept heures du matin, et à quatre heures du soir : il ne manqua jamais d’y assister, et de donner à ses soldats l’exemple de la piété[1] qui fait toujours impression sur les hommes quand ils n’y soupçonnent pas de l’hypocrisie. Son camp, mieux policé que Copenhague, eut tout en abondance ; les paysans aimaient mieux vendre leurs denrées aux Suédois, leurs ennemis, qu’aux Danois, qui ne les payaient pas si bien. Les bourgeois de la ville furent même obligés de venir plus d’une fois chercher au camp du roi de Suède des provisions qui manquaient dans leurs marchés.

Le roi de Danemark était alors dans le Holstein, où il semblait ne s’être rendu que pour lever le siége de Tonningue. Il voyait la mer Baltique couverte de vaisseaux ennemis, un jeune conquérant déjà maître de la Séeland, et prêt à s’emparer de la capitale. Il fit publier dans ses États que ceux qui prendraient les armes contre les Suédois auraient leur liberté. Cette déclaration était d’un grand poids dans un pays autrefois libre, où tous les paysans, et même beaucoup de bourgeois, sont esclaves aujourd’hui[2]. Charles fit dire au roi de Danemark qu’il ne faisait la guerre que

  1. Variante : « Comme de la valeur. » Le reste de la phrase est postérieur aux premières éditions.
  2. Variante : « Sont serfs. Mais Charles ne craignait pas des armées d’esclaves. »