Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
HISTOIRE DE CHARLES XII.


pité sa marche jusqu’à Revel, suivi de toute sa cavalerie, et seulement de quatre mille fantassins. Il marchait toujours en avant, sans attendre le reste de ses troupes. Il se trouva bientôt avec ses huit mille hommes seulement devant les premiers postes des ennemis. Il ne balança pas à les attaquer tous les uns après les autres, sans leur donner le temps d’apprendre à quel petit nombre ils avaient affaire. Les Moscovites, voyant arriver les Suédois à eux, crurent avoir toute une armée à combattre. La garde avancée de cinq mille hommes, qui gardait, entre des rochers, un poste où cent hommes résolus pouvaient arrêter une armée entière, s’enfuit à la première approche des Suédois. Les vingt mille hommes qui étaient derrière, voyant fuir leurs compagnons, prirent l’épouvante, et allèrent porter le désordre dans le camp. Tous les postes furent emportés en deux jours ; et ce qui, en d’autres occasions, eût été compté pour trois victoires, ne retarda pas d’une heure la marche du roi. Il parut donc enfin, avec ses huit mille hommes fatigués d’une si longue marche, devant un camp de quatre-vingt mille Russes, bordé de cent cinquante canons. À peine ses troupes eurent-elles pris quelque repos que, sans délibérer, il donna ses ordres pour l’attaque.

Le signal était deux fusées, et le mot en allemand : avec l’aide de Dieu. Un officier général lui ayant représenté la grandeur du péril : « Quoi ! vous doutez, dit-il, qu’avec mes huit mille braves Suédois je ne passe sur le corps à quatre-vingt mille Moscovites ? » Un moment après, craignant qu’il n’y eût un peu de fanfaronnade dans ces paroles, il courut lui-même après cet officier : « N’êtes-vous donc pas de mon avis ? lui dit-il ; n’ai-je pas deux avantages sur les ennemis : l’un, que leur cavalerie ne pourra leur servir ; et l’autre, que, le lieu étant resserré, leur grand nombre ne fera que les incommoder ? et ainsi je serai réellement plus fort qu’eux. » L’officier n’eut garde d’être d’un autre avis, et on marcha aux Moscovites à midi, le 30 novembre 1700.

Dès que le canon des Suédois eut fait brèche aux retranchements, ils s’avancèrent la baïonnette au bout du fusil, ayant au dos une neige furieuse qui donnait au visage des ennemis. Les Russes se firent tuer pendant une demi-heure sans quitter le revers des fossés. Le roi attaquait à la droite du camp où était le quartier du czar ; il espérait le rencontrer, ne sachant pas que l’empereur lui-même avait été chercher ces quarante mille[1] hommes qui devaient arriver dans peu. Aux premières décharges

  1. Voltaire, page 173, a parlé de près de trente mille hommes.