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LIVRE DEUXIÈME.


Artfchelou ; ce titre de czarafis signifie prince, ou fils du czar, chez tous les Tartares comme en Moscovie ; car le mot de czar ou tzar voulait dire roi chez les anciens Scythes, dont tous ces peuples sont descendus, et ne vient point des Césars de Rome, si longtemps inconnus à ces barbares. Son père Mittelleski, czar et maître de la plus belle partie des pays qui sont entre les montagnes d’Ararat et les extrémités orientales de la mer Noire, avait été chassé de son royaume par ses propres sujets en 1688, et avait mieux aimé se jeter entre les bras de l’empereur de Moscovie que recourir à celui des Turcs. Le fils de ce roi, âgé de dix-neuf ans, voulut suivre Pierre le Grand dans son expédition contre les Suédois, et fut pris en combattant par quelques soldats finlandais qui l’avaient déjà dépouillé, et qui allaient le massacrer. Le comte Rehnskold l’arracha de leurs mains, lui fit donner un habit, et le présenta à son maître : Charles l’envoya à Stockholm, où ce prince malheureux mourut quelques années après. Le roi ne put s’empêcher, en le voyant partir, de faire tout haut devant ses officiers une réflexion naturelle sur l’étrange destinée d’un prince asiatique, né au pied du mont Caucase, qui allait vivre captif parmi les glaces de la Suède. « C’est, dit-il, comme si j’étais un jour prisonnier chez les Tartares de Crimée. » Ces paroles ne firent alors aucune impression ; mais dans la suite on ne s’en souvint que trop, lorsque l’événement en eût fait une prédiction.

Le czar s’avançait à grandes journées avec l’armée de quarante mille Russes, comptant envelopper son ennemi de tous côtés. Il apprit à moitié chemin la bataille de Narva et la dispersion de tout son camp. Il ne s’obstina pas à vouloir attaquer, avec ses quarante mille hommes sans expérience et sans discipline, un vainqueur qui venait d’en détruire quatre-vingt mille dans un camp retranché ; il retourna sur ses pas, poursuivant toujours le dessein de discipliner ses troupes pendant qu’il civilisait ses sujets. « Je sais bien, dit-il, que les Suédois nous battront longtemps ; mais à la fin ils nous apprendront eux-mêmes à les vaincre. » Moscou, sa capitale, fut dans l’épouvante et dans la désolation à la nouvelle de cette défaite. Telle était la fierté et l’ignorance de ce peuple, qu’ils crurent avoir été vaincus par un pouvoir plus qu’humain, et que les Suédois étaient de vrais magiciens. Cette opinion fut si générale que l’on ordonna à ce sujet des prières publiques à saint Nicolas, patron de la Moscovie. Cette prière est trop singulière pour n’être pas rapportée. La voici :

« Ô toi qui es notre consolateur perpétuel dans toutes nos adversités, grand saint Nicolas, infiniment puissant, par quel péché