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LIVRE TROISIÈME.


qu’un souverain fût forcé à livrer un général d’armée, un ministre public : c’était un grand abaissement d’être obligé d’envoyer à son successeur Stanislas les pierreries et les archives de la couronne ; mais ce fut le comble à cet abaissement d’être réduit enfin à féliciter de son avènement au trône celui qui allait s’y asseoir à sa place. Charles exigea une lettre d’Auguste à Stanislas : le roi détrôné se le fit dire plus d’une fois ; mais Charles voulait cette lettre, et il fallait l’écrire. La voici telle que je l’ai vue depuis peu, copiée fidèlement sur l’original que le roi Stanislas garde encore[1] :

« Monsieur et frère,

Nous avions jugé qu’il n’était pas nécessaire d’entrer dans un commerce particulier de lettres avec Votre Majesté ; cependant, pour faire plaisir à Sa Majesté suédoise, et afin qu’on ne nous impute pas que nous faisons difficulté de satisfaire à son désir, nous vous félicitons par celle-ci de votre avènement à la couronne, et vous souhaitons que vous trouviez dans votre patrie des sujets plus fidèles que ceux que nous y avons laissés. Tout le monde nous fera la justice de croire que nous n’avons été payés que d’ingratitude pour tous nos bienfaits, et que la plupart de nos sujets ne se sont appliqués qu’à avancer notre ruine. Nous souhaitons que vous ne soyez pas exposé à de pareils malheurs, vous remettant à la protection de Dieu.

À Dresde, le 8 avril 1707,

Votre frère et voisin,
AUGUSTE, roi. »


Il fallut qu’Auguste ordonnât lui-même à tous ses officiers de magistrature de ne plus le qualifier de roi de Pologne, et qu’il fît effacer des prières publiques ce titre auquel il renonçait. Il eut moins de peine à élargir les Sobieski : ces princes, au sortir de leur prison, refusèrent de le voir ; mais le sacrifice de Patkul fut ce qui dut lui coûter davantage. D’un côté, le czar le redemandait hautement comme son ambassadeur ; de l’autre, le roi de Suède exigeait, en menaçant, qu’on le lui livrât. Patkul était alors enfermé dans le château de Koënigstein en Saxe. Le roi Auguste crut

  1. Ces derniers mots furent ajoutes parce que la première version de cette lettre, donnée par Voltaire, avait été trouvée fausse par Nordberg.