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LIVRE TROISIÈME.


imaginer. Ainsi périt l’infortuné Jean Réginold Patkul, ambassadeur et général de l’empereur de Russie.

Ceux qui ne voyaient en lui qu’un sujet révolté contre son roi disaient qu’il avait mérité la mort ; ceux qui le regardaient comme un Livonien, né dans une province laquelle avait des priviléges à défendre, et qui se souvenaient qu’il n’était sorti de la Livonie que pour en avoir soutenu les droits, l’appelaient le martyr de la liberté de son pays. Tous convenaient d’ailleurs que le titre d’ambassadeur du czar devait rendre sa personne sacrée. Le seul roi de Suède, élevé dans les principes du despotisme, crut n’avoir fait qu’un acte de justice, tandis que toute l’Europe condamnait sa cruauté.

Ses membres, coupés en quartiers, restèrent exposés sur des poteaux jusqu’en 1713, qu’Auguste étant remonté sur son trône fit rassembler ces témoignages de la nécessité où il avait été réduit à Alt-Rantstadt : on les lui apporta à Varsovie, dans une cassette, en présence de Buzenval, envoyé de France. Le roi de Pologne, montrant la cassette à ce ministre : « Voilà, lui dit-il simplement, les membres de Patkul », sans rien ajouter pour blâmer ou pour plaindre sa mémoire, et sans que personne de ceux qui étaient présents osât parler sur un sujet si délicat et si triste.

Environ ce temps-là, un Livonien nommé Paykul, officier dans les troupes saxonnes, fait prisonnier les armes à la main, venait d’être jugé à mort à Stockholm par arrêt du sénat ; mais il n’avait été condamné qu’à perdre la tête. Cette différence de supplice dans le même cas faisait trop voir que Charles, en faisant périr Patkul d’une mort si cruelle, avait plus songé à se venger qu’à punir. Quoi qu’il en soit, Paykul, après sa condamnation, fit proposer au sénat de donner au roi le secret de faire de l’or, si on voulait lui pardonner : il fit faire l’expérience de son secret dans la prison, en présence du colonel Hamilton et des magistrats de la ville, et soit qu’il eût en effet découvert quelque art utile, soit qu’il n’eût que celui de tromper habilement, ce qui est beaucoup plus vraisemblable, on porta à la Monnaie de Stockholm l’or qui se trouva dans le creuset à la fin de l’expérience, et on en fit au sénat un rapport si juridique, et qui parut si important, que la reine aïeule de Charles ordonna de suspendre l’exécution jusqu’à ce que le roi, informé de cette singularité, envoyât ses ordres à Stockholm.

Le roi répondit qu’il avait refusé à ses amis la grâce du criminel, et qu’il n’accorderait jamais à l’intérêt ce qu’il n’avait pas