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LIVRE SEPTIÈME.


s’était vu l’arbitre du Nord et la terreur de l’Europe, on vit au même endroit un autre exemple de la fragilité des grandeurs humaines.

Le roi Stanislas avait été arrêté sur les terres des Turcs, et on l’amenait prisonnier à Bender, dans le temps même qu’on transférait Charles XII.

Stanislas, n’étant plus soutenu par la main qui l’avait fait roi, se trouvant sans argent, et par conséquent sans parti en Pologne, s’était retiré d’abord en Poméranie ; et, ne pouvant plus conserver son royaume, il avait défendu autant qu’il l’avait pu les États de son bienfaiteur. Il avait même passé en Suède, pour précipiter les secours dont on avait besoin dans la Poméranie et dans la Livonie : il avait fait tout ce qu’on devait attendre de l’ami de Charles XII. En ce temps, le premier roi de Prusse[1], prince très-sage, s’inquiétant avec raison du voisinage des Moscovites, imagina de se liguer avec Auguste et la république de Pologne pour renvoyer les Russes dans leur pays, et de faire entrer Charles XII lui-même dans ce projet. Trois grands événements devaient en être le fruit : la paix du Nord, le retour de Charles dans ses États, et une barrière opposée aux Russes, devenus formidables à l’Europe. Le préliminaire de ce traité, dont dépendait la tranquillité publique, était l’abdication de Stanislas. Non-seulement Stanislas l’accepta, mais il se chargea d’être le négociateur d’une paix qui lui enlevait la couronne ; la nécessité, le bien public, la gloire du sacrifice et l’intérêt de Charles, à qui il devait tout, et qu’il aimait, le déterminèrent. Il écrivit à Bender : il exposa au roi de Suède l’état des affaires, les malheurs et le remède ; il le conjura de ne point s’opposer à une abdication devenue nécessaire par les conjonctures, et honorable par les motifs ; il le pressa de ne point immoler les intérêts de la Suède à ceux d’un ami malheureux, qui s’immolait au bien public sans répugnance. Charles XII reçut ces lettres à Varnitza ; il dit en colère au courrier, en présence de plusieurs témoins : « Si mon ami ne veut pas être roi, je saurai bien en faire un autre. »

Stanislas s’obstina au sacrifice que Charles refusait. Ces temps étaient destinés à des sentiments et à des actions extraordinaires. Stanislas voulut aller lui-même fléchir Charles, et il hasarda, pour abdiquer un trône, plus qu’il n’avait fait pour s’en emparer. Il se déroba un jour, à dix heures du soir, de l’armée suédoise

  1. Frédéric Ier (1701-1713). Voyez une note sur les rois de Prusse, tome XV, page 195.