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HISTOIRE DE CHARLES XII.


Parmi ces prisonniers se trouva ce malheureux régiment français, composé des débris de la bataille d’Hochstedt, qui avait passé au service du roi Auguste et de là à celui du roi de Suède[1] : la plupart des soldats furent incorporés dans un nouveau régiment d’un fils du prince d’Anhalt, qui fut leur quatrième maître. Celui qui commandait dans Rugen ce régiment errant était alors ce même comte de Villelongue qui avait si généreusement exposé sa vie à Andrinople[2] pour le service de Charles XII. Il fut pris avec sa troupe, et ne fut ensuite que très-mal récompensé de tant de services, de fatigues et de malheurs.

Le roi, après tous ces prodiges de valeur qui ne servaient qu’à affaiblir ses forces, renfermé dans Stralsund et prêt d’y être forcé, était tel qu’on l’avait vu à Bender. Il ne s’étonnait de rien : le jour, il faisait faire des coupures et des retranchements derrière les murailles ; la nuit, il faisait des sorties sur l’ennemi : cependant Stralsund était battu en brèche ; les bombes pleuvaient sur les maisons ; la moitié de la ville était en cendres : les bourgeois, loin de murmurer, pleins d’admiration pour leur maître, dont les fatigues, la sobriété et le courage les étonnaient, étaient tous devenus soldats sous lui. Ils l’accompagnaient dans les sorties ; ils étaient pour lui une seconde garnison.

Un jour que le roi dictait des lettres pour la Suède à un secrétaire, une bombe tomba sur la maison, perça le toit, et vint éclater près de la chambre même du roi. La moitié du plancher tomba en pièces ; le cabinet où le roi dictait, étant pratiqué en partie dans une grosse muraille, ne souffrit point de l’ébranlement, et, par un bonheur étonnant, nul des éclats qui sautaient en l’air n’entra dans ce cabinet dont la porte était ouverte. Au bruit de la bombe et au fracas de la maison, qui semblait tomber, la plume échappa des mains du secrétaire. « Qu’y a-t-il donc ? lui dit le roi d’un air tranquille ; pourquoi n’écrivez-vous pas ? » Celui-ci ne put répondre que ces mots : « Eh ! sire, la bombe ! — Eh bien, reprit le roi, qu’a de commun la bombe avec la lettre que je vous dicte ? continuez. »

Il y avait alors dans Stralsund un ambassadeur de France enfermé avec le roi de Suède : c’était un Colbert, comte de Croissy, lieutenant général des armées de France, frère du marquis de Torcy, célèbre ministre d’État, et parent de ce fameux Colbert dont le nom doit être immortel en France. Envoyer un homme à la

  1. Voyez page 213.
  2. Voyez page 308.