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LIVRE HUITIÈME.


avec le roi de Suède, qui lui cédait de grandes provinces, d’ôter entièrement aux Danois l’empire de la mer Baltique, d’affaiblir les Anglais par une guerre civile, et d’attirer à la Moscovie tout le commerce du Nord. Il ne s’éloignait pas même de remettre le roi Stanislas aux prises avec le roi Auguste, afin que le feu étant allumé de tous côtés, il pût courir pour l’attiser ou pour l’éteindre, selon qu’il y trouverait ses avantages. Dans ces vues, il proposa au régent de France la médiation entre la Suède et la Moscovie, et de plus une alliance offensive et défensive avec ces couronnes et celle d’Espagne. Ce traité, qui paraissait si naturel, si utile à ces nations, et qui mettait dans leurs mains la balance de l’Europe, ne fut cependant pas accepté du duc d’Orléans. Il prenait précisément dans ce temps des engagements tout contraires ; il se liguait avec l’empereur d’Allemagne et George, roi d’Angleterre. La raison d’État changeait alors dans l’esprit de tous les princes, au point que le czar était prêt de se déclarer contre son ancien allié le roi Auguste, et d’embrasser les querelles de Charles, son mortel ennemi, pendant que la France allait, en faveur des Allemands et des Anglais, faire la guerre au petit-fils de Louis XIV, après l’avoir soutenu si longtemps contre ces mêmes ennemis aux dépens de tant de trésors et de sang. Tout ce que le czar obtint, par des voies indirectes, fut que le régent interposât ses bons offices pour l’élargissement du baron de Görtz et du comte de Gyllenborg. Il s’en retourna dans ses États à la fin de juin, après avoir donné à la France le spectacle rare d’un empereur qui voyageait pour s’instruire ; mais trop de Français ne virent en lui que les dehors grossiers que sa mauvaise éducation lui avait laissés ; et le législateur, le créateur d’une nation nouvelle, le grand homme leur échappa.

Ce qu’il cherchait dans le duc d’Orléans, il le trouva bientôt dans le cardinal Albéroni, devenu tout-puissant en Espagne. Albéroni ne souhaitait rien tant que le rétablissement du prétendant, et comme ministre de l’Espagne, que l’Angleterre avait si maltraitée, et comme ennemi personnel du duc d’Orléans, lié avec l’Angleterre contre l’Espagne, et enfin comme prêtre d’une église pour laquelle le père du prétendant avait si mal à propos perdu sa couronne.

Le duc d’Ormond, aussi aimé en Angleterre que le duc de Marlborough y était admiré, avait quitté son pays à l’avènement du roi George ; et, s’étant alors retiré à Madrid, il alla, muni de pleins pouvoirs du roi d’Espagne et du prétendant, trouver le czar sur son passage à Mittau en Courlande, accompagné d’Irne-