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CHAPITRE L.


ce ministre détesté lui était nécessaire. Plus sa mère et Gaston son frère se plaignirent, plus Richelieu fut puissant. Les favoris de Marie de Médicis et de Gaston agitèrent la cour et le royaume par des factions qui, dans d’autres temps, auraient dégénéré en guerres civiles. Richelieu étouffa tout par son habileté active, par des rigueurs et par des supplices qui ne furent pas toujours conformes aux lois.

Gaston, frère unique du roi, quitta la France[1] et se retira en Lorraine. Marie, sa mère, s’enfuit à Bruxelles, et se mit ouvertement sous la protection du roi d’Espagne, dont l’inimitié était déclarée contre la France, si la guerre ne l’était pas encore[2].

Il n’en était pas de même du duc de Lorraine : la cour de France ne pouvait le regarder comme un prince ennemi. Cependant le cardinal publia une déclaration du roi, dans laquelle tous les amis et les domestiques de Monsieur, qui l’avaient accompagné dans sa retraite, étaient regardés comme criminels de lèse-majesté. Cette déclaration paraissait trop sévère : des domestiques peuvent suivre leur maître sans crime dans ses voyages ; et quand ils n’ont fait aucune entreprise contre l’État, on n’a point de reproche à leur faire. Cette question fut longtemps débattue au parlement de Paris, lorsqu’il fallut enregistrer la déclaration du roi. Gayant et Barillon, présidents aux enquêtes, et Lenet, conseiller, parlèrent avec tant d’éloquence qu’ils entraînèrent la moitié des voix[3] et il y eut un arrêt de partage.

Dans le temps même qu’on allait aux opinions, Monsieur fit présenter une requête par Roger, son procureur général. Elle commençait par ces mots : « Supplie humblement Gaston, fils de France, frère unique du roi. » Il alléguait, dans sa requête, qu’il n’était sorti du royaume que parce que le cardinal de Richelieu l’avait voulu faire assassiner, et il en demandait acte au parlement.

Le premier président Le Jai empêcha que la pièce ne fût présentée ; il la remit entre les mains du roi, qui la déclara calomnieuse et la supprima. Si elle avait été lue dans la grand’chambre, le parlement se trouvait juge entre l’héritier présomptif de la couronne et le cardinal de Richelieu.

Le roi, indigné de l’arrêt de partage, manda le parlement[4] au Louvre, et lui ordonna de venir à pied. Tous les membres du

  1. 1631. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez encore le chapitre CLXXV de l’Essai sur les Mœurs.
  3. 25 avril 1631. (Note de Voltaire.)
  4. 12 mai 1631. (Id.)