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LIVRE HUITIÈME.


nation absolue, dogme qui favorisait son courage, et qui justifiait ses témérités[1]. Le czar avait les mêmes sentiments que lui sur la religion et sur la destinée ; mais il en parlait plus souvent, car il s’entretenait familièrement de tout avec ses favoris, et avait par-dessus Charles l’étude de la philosophie et le don de l’éloquence.

Je ne puis me défendre de parler ici d’une calomnie renouvelée trop souvent à la mort des princes, que les hommes malins et crédules prétendent toujours avoir été ou empoisonnés ou assassinés. Le bruit se répandit alors en Allemagne que c’était M. Siquier lui-même qui avait tué le roi de Suède. Ce brave officier fut longtemps désespéré de cette calomnie ; un jour, en m’en parlant, il me dit ces propres paroles : « J’aurais pu tuer le roi de Suède ; mais tel était mon respect pour ce héros que, si je l’avais voulu, je n’aurais pas osé[2]. »

[3]Je sais bien que Siquier lui-même avait donné lieu à cette fatale accusation, qu’une partie de la Suède croit encore ; il m’avoua lui-même qu’à Stockholm, dans une fièvre chaude, il s’était écrié qu’il avait tué le roi de Suède ; que même il avait dans son accès ouvert la fenêtre, et demandé publiquement pardon de ce parricide. Lorsque dans sa guérison il eut appris ce qu’il avait dit dans sa maladie, il fut sur le point de mourir de douleur. Je n’ai point voulu révéler cette anecdote pendant sa vie. Je le vis quelque temps avant sa mort, et je peux assurer que loin d’avoir tué Charles XII, il se serait fait tuer pour lui mille fois. S’il avait été coupable d’un tel crime, ce ne pouvait être que pour servir quelque puissance qui l’en aurait sans doute bien récompensé ; il est mort très-pauvre en France, et même il y a eu besoin du secours de ses amis. Si ces raisons ne suffisent pas, que l’on considère que la balle qui frappa Charles XII ne pouvait entrer dans un pistolet, et que Siquier n’aurait pu faire ce coup détestable qu’avec un pistolet caché sous son habit[4].

  1. « Voyez-vous là-haut cette étoile ? dit une fois Napoléon au cardinal Fosch. — Non, sire. — Regardez bien. — Sire, je ne la vois pas. — Hé bien ! moi, je la vois. » (M. de Ségur, livre II, chapitre III.)
  2. On lit dans les lettres de Villelongue à Voltaire (Bibliothèque nationale, manuscrits) : « M. de Rémuzat peut rappeler sa mémoire et vous raconter bien des choses. M. de Siker aussi, si vous voulez l’assurer que vous ne lui ferez point de tort dans le public avec les vérités qu’il pourra vous dire, etc. »
  3. Cet alinéa n’a été ajouté qu’en 1748. (B.)
  4. Beaucoup de gens prétendent encore que Charles XII fut la victime de la haine qu’il avait inspirée à ses sujets. Cette opinion n’est pas même destituée de vraisemblance. M. de Voltaire ne l’ignorait pas ; mais comme il ne pouvait vérifier les petites circonstances sur lesquelles cette opinion s’appuie, il a préféré la passer