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CHAPITRE LI.


puisse attacher à ce mot de chose invisible, cette question ne paraissait pas du ressort des jugements humains.

À l’égard du contrat civil, il liait les deux époux par les lois de toutes les nations. Annuler ce contrat solennel, c’était ouvrir la porte aux guerres civiles les plus funestes : car s’il naissait un fils du mariage de Gaston, le roi n’ayant point d’enfants, ce fils était reconnu légitime par le pape et par les nations de l’Europe, et déclaré bâtard en France ; et encore aurait-il eu la moitié de la France dans son parti[1].

Le cardinal de Richelieu ferma les yeux aux dangers évidents qui naissaient de la cassation. Il fit mouvoir tant de ressorts qu’il obtint du parlement, irrité contre lui, un arrêt, et de l’assemblée du clergé, qui ne l’aimait pas davantage, une décision favorable à ses vues. Cette condescendance n’est pas surprenante ; il était tout-puissant, il avait envahi les États du duc de Lorraine : tout pliait sous ses volontés.

L’avocat général Omer Talon rapporte que le parlement étant assemblé, il y fut dit que « Phéroras, frère d’Hérode, accusa Salomé d’avoir traité son mariage avec Sillène[2], lieutenant d’Arabie ». On cita Plutarque en la vie de Dion, après quoi la compagnie donna un décret de prise de corps contre Charles, duc de Lorraine[3] ; François, nouveau duc de Lorraine (à qui Charles avait cédé son duché), et la princesse de Phalsbourg, leur sœur, comme coupables de rapt envers la personne de Monsieur, frère unique du roi.

Ensuite il les condamna comme coupables de lèse-majesté[4], les bannit du royaume, et confisqua leurs terres.

Deux choses surprenaient dans cet arrêt : premièrement, la condamnation d’un prince souverain qui était vassal du roi pour le duché de Bar, mais qui n’avait point marié sa sœur dans Bar ; secondement, le crime de rapt supposé contre Monsieur, qui était venu en Lorraine conjurer le duc de lui donner sa sœur en mariage. Il était difficile de prouver que la princesse Marguerite eût forcé Monsieur à l’épouser.

  1. Voltaire voit mal ici. Richelieu eut raison de poursuivre la cassation de ce mariage, qui avait été contracté secrètement, et qui pouvait avoir les conséquences les plus funestes pour l’avenir de la France. (G. A.)
  2. Toutes les éditions données du vivant de l’auteur portent, les unes Sillène, les autres Silène : M. Clogenson, en 1825, a remarqué qu’il fallait mettre, et a mis Sillée. (B.)
  3. 14 juillet 1634. (Note de Voltaire.)
  4. 5 septembre. (Id.)