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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I.


d’une splendeur asiatique qui régnait alors à cette cour. Il n’y avait rien de pareil en Allemagne, nulle ville à beaucoup près aussi vaste, aussi peuplée.

Le comte de Carlisle au contraire, ambassadeur de Charles II, en 1663, auprès du czar Alexis, se plaint, dans sa relation, de n’avoir trouvé ni aucune commodité de la vie dans Moscou, ni hôtellerie dans la route, ni secours d’aucune espèce. L’un jugeait comme un Allemand du Nord, l’autre comme un Anglais ; et tous deux par comparaison. L’Anglais fut révolté de voir que la plupart des boïards avaient pour lit des planches ou des bancs sur lesquels on étendait une peau ou une couverture ; c’est l’usage antique de tous les peuples : les maisons, presque toutes de bois, étaient sans meubles : presque toutes les tables à manger sans linge ; point de pavé dans les rues, rien d’agréable et de commode : très-peu d’artisans, encore étaient-ils grossiers, et ne travaillaient qu’aux ouvrages indispensables. Ces peuples auraient paru des Spartiates s’ils avaient été sobres.

Mais la cour, dans les jours de cérémonie, paraissait celle d’un roi de Perse. Le comte de Carlisle dit qu’il ne vit qu’or et pierreries sur les robes du czar et de ses courtisans : ces habits n’étaient pas fabriqués dans le pays ; cependant il était évident qu’on pouvait rendre les peuples industrieux, puisqu’on avait fondu à Moscou, longtemps auparavant, sous le règne du czar Boris Godonou, la plus grosse cloche qui soit en Europe, et qu’on voyait dans l’église patriarcale des ornements d’argent qui avaient exigé beaucoup de soins. Ces ouvrages, dirigés par des Allemands et des Italiens, étaient des efforts passagers ; c’est l’industrie de tous les jours, et la multitude des arts continuellement exercés qui fait une nation florissante. La Pologne alors, et tous les pays voisins des Russes, ne leur étaient pas supérieurs. Les arts de la main n’étaient pas plus perfectionnés dans le nord de l’Allemagne ; les beaux-arts n’y étaient guère plus connus au milieu du xviie siècle.

Quoique Moscou n’eût rien alors de la magnificence et des arts de nos grandes villes d’Europe, cependant son circuit de vingt mille pas, la partie appelée la ville chinoise, où les raretés de la Chine s’étalaient ; le vaste quartier du Kremelin, où est le palais des czars, quelques dômes dorés, des tours élevées et singulières, et enfin le nombre de ses habitants, qui monte à près de cinq cent mille : tout cela faisait de Moscou une des plus considérables villes de l’univers.

Théodore, ou Fœdor, frère aîné de Pierre le Grand, commença à policer Moscou. Il fit construire plusieurs grandes maisons de