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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II.


séjour, et celle de ne se présenter ni dans l’église ni devant le trône avec une épée, coutume orientale, opposée à notre usage ridicule et barbare d’aller parler à Dieu, aux rois, à ses amis et aux femmes, avec une longue arme offensive qui descend au bas des jambes[1]. L’habit long, dans les jours de cérémonie, semblait plus noble que le vêtement court des nations occidentales de l’Europe. Une tunique doublée de pelisse avec une longue simarre enrichie de pierreries, dans les jours solennels, et ces espèces de hauts turbans, qui élevaient la taille, étaient plus imposants aux yeux que les perruques et le justaucorps, et plus convenables aux climats froids ; mais cet ancien vêtement de tous les peuples paraît moins fait pour la guerre et moins commode pour les travaux. Presque tous les autres usages étaient grossiers ; mais il ne faut pas se figurer que les mœurs fussent aussi barbares que le disent tant d’écrivains. Albert Krants[2] parle d’un ambassadeur italien à qui un czar fit clouer son chapeau sur la tête, parce qu’il ne se découvrait pas en le haranguant. D’autres attribuent cette aventure à un Tartare ; enfin on a fait ce conte d’un ambassadeur français[3].

Oléarius prétend que le czar Michel Fédérovitz relégua en Sibérie un marquis d’Exideuil, ambassadeur du roi de France Henri IV ; mais jamais assurément ce monarque n’envoya d’ambassadeur à Moscou[4]. C’est ainsi que les voyageurs parlent du pays de Borandie, qui n’existe pas ; ils ont trafiqué avec les peuples de la Nouvelle-Zemble, qui à peine est habitée ; ils ont eu de longues conversations avec des Samoyèdes, comme s’ils avaient pu les entendre. Si on retranchait des énormes compilations de voyages ce qui n’est ni vrai ni utile, ces ouvrages et le public y gagneraient.

Le gouvernement ressemblait à celui des Turcs par la milice des strélitz, qui, comme celle des janissaires, disposa quelquefois

  1. On voit que Voltaire ne perd aucune occasion de protester contre le port des armes en temps de paix.
  2. Chroniqueur du xve siècle, auteur des Chronica regnorum aquilonarium, Daniœ, Sueciœ, Norvagiœ.
  3. Voltaire rapporte cette aventure comme un conte, et ses ennemis lui ont souvent reproché de l’avoir donnée pour une vérité. (G. A.)
  4. Voyez la préface. (Note de Voltaire.) — Dans la première édition, Voltaire avait mis dans le texte : « Et jamais il n’y eut en France de marquis d’Exideuil. » Il a supprimé cette phrase parce qu’elle était inexacte, puisque le titre de marquis d’Exideuil appartenait, depuis 1587, à la famille Talleyrand. Voyez au reste, page 391, la note extraite d’une Lettre de M. le prince Lubanoff, et l’Avertissement de Beuchot.