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RELIGION.


boire son sang, et de se mêler ensemble dans leurs cérémonies secrètes, sans distinction de parenté, d’âge, ni même de sexe. Quelquefois on les a persécutés : ils se sont alors enfermés dans leurs bourgades, ont mis le feu à leurs maisons, et se sont jetés dans les flammes. Pierre a pris avec eux le seul parti qui puisse les ramener, celui de les laisser vivre en paix.

Au reste, il n’y a, dans un si vaste empire, que vingt-huit siéges épiscopaux ; et du temps de Pierre on n’en comptait que vingt-deux : ce petit nombre était peut-être une des raisons qui avaient tenu l’Église russe en paix. Cette Église, d’ailleurs, était si peu instruite que le czar Fœdor, frère de Pierre le Grand, fut le premier qui introduisit le plain-chant chez elle.

Fœdor, et surtout Pierre, admirent indifféremment dans leurs armées et dans leurs conseils ceux du rite grec, latin, luthérien, calviniste : ils laissèrent à chacun la liberté de servir Dieu suivant sa conscience, pourvu que l’État fût bien servi. Il n’y avait, dans cet empire de deux mille lieues de longueur, aucune église latine. Seulement, lorsque Pierre eut établi de nouvelles manufactures dans Astracan, il y eut environ soixante familles catholiques dirigées par des capucins : mais quand les jésuites voulurent s’introduire dans ses États, il les en chassa par un édit, au mois d’avril 1718. Il souffrait les capucins comme des moines sans conséquence, et regardait les jésuites comme des politiques dangereux. Ces jésuites s’étaient établis en Russie en 1685 ; ils furent expulsés quatre ans après ; ils revinrent encore, et furent encore chassés[1].

L’Église grecque est flattée de se voir étendue dans un empire de deux mille lieues, tandis que la romaine n’a pas la moitié de ce terrain en Europe. Ceux du rite grec ont voulu surtout conserver dans tous les temps leur égalité avec ceux du rite latin, et

  1. Les jésuites avaient été rechassés de Russie en 1718. Cependant il s’en trouvait dans ce pays à la fin du xviiie siècle ; voici comment : lors de la suppression de la société des jésuites par le bref de Clément XIV, du 21 juillet 1773, une partie de la Pologne venait de passer sous la domination de la Russie, et le bref d’extinction n’y fut point publié. Les jésuites qui s’y trouvaient firent comme si le bref n’existait pas. Toutefois ils s’abstinrent de recevoir des novices. Mais en 1779, avec la permission de l’évêque diocésain, autorisé, dit-on, par Pie VI, ils en reçurent. L’ordre se trouvait ainsi perpétué en Russie. Il y eut réclamation des puissances qui avaient demandé le bref du 21 juillet. Catherine insista pour garder les jésuites dont elle croyait avoir besoin pour l’instruction de la jeunesse dans ses États ; le pape Pie VI les lui laissa, et, le 7 mars 1801, Pie VII approuva par un bref la société en Russie. Une bulle du même pape rétablit la société le 7 auguste 1814. Dix-sept mois après leur rétablissement général, les jésuites ont été chassés de Russie par un ukase du 1er janvier 1816. Cet ukase se trouve altéré dans le Moniteur du 1er février 1816, qui annonce le donner d’après la Journal de Francfort. (B.)