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ANCÊTRES DE PIERRE LE GRAND.


Astracan, ils suivirent presque en tout les coutumes asiatiques, et principalement celle de ne se marier qu’à leurs sujettes.

Ce qui ressemble encore plus aux usages de l’ancienne Asie, c’est que pour marier un czar on faisait venir à la cour les plus belles filles des provinces ; la grande maîtresse de la cour les recevait chez elle, les logeait séparément, et les faisait manger toutes ensemble. Le czar les voyait ou sous un nom emprunté ou sans déguisement. Le jour du mariage était fixé sans que le choix fût encore connu ; et le jour marqué, on présentait un habit de noce à celle sur qui le choix secret était tombé : on distribuait d’autres habits aux prétendantes, qui s’en retournaient chez elles. Il y eut quatre exemples de pareils mariages.

C’est de cette manière que Michel Romano épousa Eudoxe, fille d’un pauvre gentilhomme nommé Streshneu. Il cultivait ses champs lui-même avec ses domestiques, lorsque des chambellans, envoyés par le czar avec des présents, lui apprirent que sa fille était sur le trône. Le nom de cette princesse est encore cher à la Russie. Tout cela est éloigné de nos mœurs, et n’en est pas moins respectable.

Il est nécessaire de dire qu’avant l’élection de Romano, un grand parti avait élu le prince Ladislas, fils du roi de Pologne Sigismond III. Les provinces voisines de la Suède avaient offert la couronne à un frère de Gustave-Adolphe ; ainsi la Russie était dans la même situation où l’on a vu si souvent la Pologne, chez qui le droit d’élire un monarque a été une source de guerres civiles. Mais les Russes n’imitèrent point les Polonais, qui font un contrat avec le roi qu’ils élisent. Quoiqu’ils eussent éprouvé la tyrannie, ils se soumirent à un jeune homme sans rien exiger de lui.

La Russie n’avait jamais été un royaume électif ; mais la race masculine des anciens souverains ayant manqué, six czars ou prétendants ayant péri malheureusement dans les derniers troubles, il fallut, comme on l’a vu[1], élire un monarque ; et cette élection causa de nouvelles guerres avec la Pologne et la Suède, qui combattirent pour leurs prétendus droits au trône de Russie. Ces droits de gouverner une nation malgré elle ne se soutiennent jamais longtemps. Les Polonais d’un côté, après s’être avancés jusqu’à Moscou, et après des pillages qui étaient les expéditions militaires de ces temps-là, conclurent une trêve de quatorze ans. La Pologne, par cette trêve, demeura en possession du duché de Smolensko,

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