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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VIII.


gens de mer. Il engagea à sa solde des Calmoucks dont la cavalerie est très-utile contre celle des Tartares de Crimée.

Le succès le plus flatteur pour le czar fut celui de sa petite flotte, qui fut enfin complète et bien gouvernée. Elle battit les saïques turques envoyées de Constantinople, et en prit quelques-unes. Le siége fut poussé régulièrement par tranchées, non pas tout à fait selon notre méthode ; les tranchées étaient trois fois plus profondes, et les parapets étaient de hauts remparts. Enfin les assiégés rendirent la place le 28 juillet n. st.[1], sans aucun honneur de la guerre, sans emporter ni armes ni munitions, et ils furent obligés de livrer le transfuge Jacob aux assiégeants[2].

Le czar voulut d’abord, en fortifiant Azof, en le couvrant par des forts, en creusant un port capable de contenir les plus gros vaisseaux, se rendre maître du détroit de Caffa, de ce Bosphore cimmérien qui donne entrée dans le Pont-Euxin, lieux célèbres autrefois par les armements de Mithridate, Il laissa trente-deux saïques armées devant Azof[3], et prépara tout pour former contre les Turcs une flotte de neuf vaisseaux de soixante pièces de canon, et de quarante et un portant depuis trente jusqu’à cinquante pièces d’artillerie. Il exigea que les plus grands seigneurs, les plus riches négociants, contribuassent à cet armement ; et, croyant que les biens des ecclésiastiques devaient servir à la cause commune, il obligea le patriarche, les évêques, les archimandrites, à payer de leur argent cet effort nouveau qu’il faisait pour l’honneur de sa patrie et pour l’avantage de la chrétienté. On fit faire par des Cosaques des bateaux légers auxquels ils sont accoutumés, et qui peuvent côtoyer aisément les rivages de la Crimée. La Turquie devait être alarmée d’un tel armement, le premier qu’on eût jamais tenté sur les Palus-Méotides. Le projet était de chasser pour jamais les Tartares et les Turcs de la Crimée, et d’établir ensuite un grand commerce aisé et libre avec la Perse par la Géorgie. C’est le même commerce que firent autrefois les Grecs à Colchos, et dans cette Chersonèse taurique que le czar semblait devoir soumettre.

Vainqueur des Turcs et des Tartares, il voulut accoutumer son peuple à la gloire comme aux travaux. Il fit entrer à Moscou son armée sous des arcs de triomphe, au milieu des feux d’artifice et

  1. 1696. (Note de Voltaire.)
  2. C’est à l’Anglais Gordon, venu en Russie sous Alexis, que Pierre dut le succès de la campagne. (G. A.)
  3. Mémoires de Le Fort. (Note de Voltaire.)